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AGRIPPA.

dans une telle colère et dans un tel désir de vengeance, s’il avait eu autant de crédit auprès des démons qu’on a voulu le persuader ? Je ne sache point que quelqu’un ait dit que cette indignation d’Agrippa devint funeste à quelque personne de la cour de France. Ce malheureux homme ne fut pas plus satisfait de la cour de Charles-Quint. Il présenta une requête au conseil privé de ce prince, dans laquelle il se fit tout blanc de son épée, et représenta qu’il pouvait faire du bien et du mal. Ses menaces étaient les plus intelligibles du monde ; mais on y fut insensible impunément : Cogeretis me acceptam eâ repulsâ injuriam ad novarum rerum licentiam transferre, et malo aliquo consilio (ceu quale Hermocles dedit Pausaniæ) uti oportere.... Quin et malis artibus sæpissimè bona fortuna parta est.... Sed intereà memineritis inter Æsopi Apologos esse, murem aliquando subvenisse leoni, et scarabæum expugnâsse aquilam[1].

(M) On avait... prévenu contre lui l’esprit de cette princesse. ] Voilà ce qu’il nous apprend là-dessus, après s’être plaint qu’on le laissait mourir de faim : Quod ad te scribam non habeo aliud, nisi quod ego hìc egregiè esurio, ab istis aulicis diis totus præteritus. Quid magnus ille Jupiter [2], suspicari nequeo. Ego quantò fuerim in periculo, jam primùm rescivi ; tantum enim dictum est mihi ; prævaluerant cuculliones illi apud Dominam, sed muliebriter religiosam principem, ut nisi illa mox periisset, jam ego, quod maximum crimen est, monachalis majestatis sacræque cucullæ reus tanquam in religionem christianam impius periturus fuissem[3]. Ordinairement une maîtresse est plus à craindre qu’un maître, quand on est accusé d’irréligion.

(N) On n’a pas dû dire qu’il a été luthérien. ] J’avoue que je n’ai point remarqué dans ses lettres que, quand il parle de Luther, il se serve de paroles ou de réflexions injurieuses. J’avoue aussi qu’il s’informe assez curieusement de ce que Luther ou les sectateurs de Luther publiaient sur les matières de controverses ; mais cela ne veut pas dire qu’il approuvât les dogmes de ce réformateur. Les plus rigides protestans de la confession de Genève ne pourraient-ils pas donner ordre qu’on leur achetât tout ce que les sectaires de Transylvanie font imprimer ; et ne serait-on pas bien ridicule de prétendre sur cela qu’ils sont du sentiment de ces hérétiques ? Ceux qui embrassaient la réformation de Luther ne traitaient pas ce docteur avec cette indifférence que l’on voit dans les lettres d’Agrippa, c’est-à-dire, sans le louer ni le blâmer. Si Agrippa était l’auteur de la LXXXIIe. lettre du IIIe. livre, il ne faudrait plus être en doute qu’il n’eût été un bon et franc luthérien ; mais encore qu’on ait mis au titre Agrippa ad amicum, il est certain qu’elle n’est pas d’Agrippa ; en voici la démonstration : Celui qui a écrit cette lettre marque que sa femme était accouchée d’un fils au mois de novembre 1525. Or, la femme d’Agrippa était accouchée d’un fils au mois de juillet précédent : cela est clair par la lettre LXXVIe. du IIIe. livre, où l’on voit même que le cardinal de Lorraine fut parrain de cet enfant. Il est donc incontestable qu’Agrippa n’a point écrit la lettre en question. Je laisse à dire qu’il n’était point à Strasbourg, mais à Lyon, au temps que cette lettre fut écrite de Strasbourg. Ainsi, ceux qui voudraient procurer une telle preuve à Sixte de Sienne, qui a dit qu’Agrippa était luthérien [4],[* 1] ne lui fourniraient rien qui vaille. Quenstedt a réfuté Sixte de Sienne par le VIe. chapitre du Traité de la Vanité des Sciences, où Agrippa traite Luther d’hérésiarque. Cette ré-

  1. (*) Agrippa, au ch. 19 de son Apologie, parle si magnifiquement de Luther, et avec tant de mépris des principaux adversaires de ce réformateur, que c’est apparemment là-dessus que s’est fondé Sixte de Sienne, pour avancer qu’Agrippa était luthérien. Comme c’était ici un endroit à alléguer cette pièce, plutôt que certaines lettres d’Agrippa, on peut croire que M. Bayle ne l’avait pas lue si exactement que ces lettres. Rem. crit.

    reur, et la XXIIIe. du même livre où il dit que cette princesse serait fort mal conseillée, si elle le reprenait à son service.

  1. Agrippa, Epist. XXII libri VI, pag. 979.
  2. C’est-à-dire, Charles Quint.
  3. Agrippa, Epist. XV libri VI, pag. 968.
  4. Sixti Senensis Biblioth. Sancta, lib. V, Annotat. LXXIII, apud Quenstedt, de Patriis illustr. Virorum, pag. 144. Delrio, Disquis., lib. II, quæst. XVI, et Tannerus sur le Traité de saint Thomas, de Potentiâ Angelorum, quæst. III, font Agrippa protestant. Voyez Voet. Disp. part. III, pag. 616.