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AGRIPPA.

gue, marquis de Monferrat, à qui il dédia son Traité De triplici ratione cognoscendi Deum, l’an 1516[1] : il enseigna à Turin, et il repassa les Alpes vers le commencement de l’année 1518[2]. Qu’on me montre qu’Antoine de Lève ait servi l’empereur Maximilien. Mais voici une ignorance encore plus crasse. Agrippa n’obtint le titre de conseiller et historiographe de Charles-Quint que par le moyen des amis qu’il rencontra à la cour de la princesse Marguerite, gouvernante du Pays-Bas. Charles-Quint n’était point alors dans le Pays-Bas : il y vint quelque temps après, si prévenu contre Agrippa, que, sans les bons offices du cardinal Campège, et du cardinal de la Mark, il l’aurait fait mettre dans un cachot. Le sieur Clavigni de Sainte-Honorine dit que la fin d’Agrippa n’eût pas été moins funeste que celle de Lucilius Vaninius, si le cardinal Campège, et Antoine de Léve, ses protecteurs, n’eussent détourné Charles-Quint de le faire punir[3]. Il ne vit point Agrippa, et ne lui fit point payer ses gages : tant s’en faut qu’il se soit servi de ses conseils pour se débarrasser des grandes affaires qui lui étoient tombées sur les bras. C’est une plaisante preuve de l’habileté d’Agrippa dans le droit, que de dire que Charles-Quint le reçut au nombre de ses conseillers. À la jurisprudence, dit Thevet[4], il avoit donné une si vive atteinte, que (comme j’ai ci-dessus remarqué) l’empereur Charles-Quint le reçut au nombre de ses conseillers. Il avait dit dans la page précédente, qu’Agrippa fut si bien reçu à la cour de cet empereur, qu’il fut du nombre de ses conseillers. Ne sait-on pas que le titre de conseiller du roi se donne à une infinité de gens, à des médecins, à des historiographes, à des auteurs qui entrent dans les conseils du prince aussi peu que le dernier de tous les bourgeois ? La deuxième raison de Thevet ne prouve rien. Agrippa a parlé de quelques apparitions si ridicules, que même l’un de ses meilleurs amis s’en est moqué ; donc il a été magicien. Que deviendraient Bodin, Martin Del Rio, le Loyer, et la plupart des démonographes, si cette manière de raisonner avait lieu ? La troisième raison fourmille de faussetés. Si Agrippa eût fait profession de magie, on ne se fût pas contenté de le faire sortir de Flandre ; on ne punit pas si doucement une telle profession. Il ne fut jamais en Italie depuis les censures de sa Philosophie occulte. Cet ouvrage ne parut qu’en 1531. Si Agrippa eût épanché dans l’Italie avec tant d’abondance le poison de sa magie, le cardinal de Sainte-Croix l’aurait-il choisi pour l’un des théologiens du concile de Pise ? Le pape lui aurait-il écrit un bref si honnête en l’an 1515 [5] ? Bien loin que notre Agrippa chassé d’Italie se soit retiré à Dôle, il n’alla en Italie qu’après avoir quitté Dôle. La quatrième raison suppose faux. Agrippa se fit des affaires à Dôle pour avoir donné dans les hypothèses de Capnion, dont il expliquait le livre de Verbo mirifico. On sait les longues querelles des moines et de Capnion. Le cordelier Catilinet, aimant mieux prêcher contre Agrippa devant la princesse Marguerite, que disputer ou s’éclaircir avec lui à Dôle, prit le parti de l’aller diffamer à Gand sur la chaire de vérité : mais il ne l’accusa point de magie ; il ne l’accusa que d’attachement à la cabale judaïque, et de pervertir l’Écriture par des explications cabalistiques[6]. Les déclamations mal placées de ce cordelier, qui, au lieu de prévenir la cour et le peuple contre un professeur absent, devait l’accuser dans les formes devant les juges académiques, n’empêchèrent point que le célèbre Jean Colet ne logeât Agrippa chez lui à Londres, et que l’empereur Maximilien, aïeul de la princesse Marguerite, ne lui donnât de l’emploi en Italie[7]. La cinquième raison de Thevet a déjà été réfutée : il n’a fait que copier Paul Jove ; et ils ont été l’un et l’autre assez imprudens pour parler de la misère d’Agrippa. Beau moyen de persuader à un lecteur judicieux, que cet homme était un grand

  1. Ibid., pag. 480 et 718.
  2. Voyez ses Lettres, pag. 728, 730.
  3. Clavigni de Sainte-Honorine, de l’Usage des Livres suspects, pag. 106.
  4. Thevet, Hommes illustr., pag. 222, 223.
  5. Agrippa, Epist. XXXVIII libri I, pag. 710.
  6. Voyez l’Expostulatio d’Agrippa, au IIe. tome de ses Œuvres, pag. 508.
  7. Agrippa, Oper, tom. II, pag. 596.