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AJAX.

(C) Comment Minerve tira raison de celle injure. ] Voyez la remarque précédente. J’ajouterai seulement ici que la tempête qu’elle excita fit périr un grand nombre de vaisseaux proche des rochers de Capharée, au voisinage de l’île d’Eubée, qui s’appelle aujourd’hui Négrepont. On ne pourrait, sans une extrême imprudence, et sans supposer un faux principe, condamner les poëtes grecs, qui ont fait châtier par cette déesse toute une nation pour le crime d’un particulier :

Unius ob noxam et furias Ajacis Oilei ;


ou, comme dit un autre poëte,

Quicquid Oïlides commiserat, omnibus unus
Peccavit Danais, omnibus ira nocens[1].


L’objection prouverait trop, et pourrait être retorquée contre l’histoire de David. Il est vrai, non-seulement dans les écrivains profanes, mais aussi dans les écrivains sacrés, que

Quidquid delirant reges plectuntur Achivi[2].

(D) L’île de Délos, où Thétis l’enterra. ] Lycophron nous apprend cette particularité[3], depuis que les interprètes l’ont arrachée du milieu de ses énigmes. Voyez ce que Cantérus et Meursius ont dit là-dessus : mais ne vous fiez pas à tout ce qu’ils disent ; car ils se trompent sur le passage de Pausanias, qu’ils emploient pour confirmer leurs conjectures. Pausanias ne parle point du tombeau du fils d’Oïlée [4], il ne parle que de celui d’Ajax, fils de Télamon. La critique de Meursius sur le grec de Pausanias n’est point juste : il voudrait qu’au lieu de lire τὴν ἔσοδον πρὸς τὸ μνῆμα οὐ χαλεπὴν ποιῆσαι, on lût τὴν ἔσοδον πρὸς τὸ μνῆμα οἱ χαλεπὴν ποιῆσαι. Selon cette correction, le Mysien, qui parlait à Pausanias, lui aurait dit que la mer lui avait rendu malaisée l’approche de ce tombeau ; mais, au contraire, il racontait à Pausanias que la mer avait été cause qu’on y avait vu la grosseur d’un des os d’Ajax. Il faut donc entendre que la mer, ayant fait ébouler des terres, avait rendu cet endroit plus accessible, moins escarpé, etc.

(E) Quelques auteurs ont débité qu’il se sauva de la tempête, et qu’il arriva en bonne santé chez lui. ] M. Lloyd a cité ces paroles de Timæus Locrus, Hist. lib. 2. Μετὰ τῆς Τρωιας ἅλωσιν πολλοὶ τῶν Λοκρῶν περὶ τὰς Γηρέας ναυηγησάντων ἀνηρέθησαν, οἰ δὲ λοιποὶ σὺν Αἲαντι μόλις ἐς Λοκρίδα διεώθησαν. C’est-à-dire, après la prise de Troie, plusieurs Locriens firent naufrage, et périrent auprès des Gires[5] ; le reste se sauva à peine avec Ajax, et revint dans le pays. Il y a quelque apparence qu’au lieu de Timœus Locrus, il aurait fallu citer Timœus Tauromenita.

  1. Sabinus, in Epist. I, Ulyssis. vs. 101.
  2. Horat. Epistol. II, libri I, vs. 14,
  3. Lycophron., vs. 400.
  4. Pausan., lib. I, pag. 34.
  5. Rochers de la mer Égée. Voyez les Peintures de Philostrate.

AJAX, fils de Télamon[a], était après Achille le plus vaillant capitaine grec (A) qui fût au siége de Troie. Il y commandait les troupes de Salamine[b], et il y fit plusieurs beaux exploits que l’on peut lire dans l’Iliade, dans Dictys de Crète, dans Quintus Calaber, et au XIIIe. livre des Métamorphoses, dans la harangue qu’il fit au sujet de la dispute touchant les armes d’Achille. Il perdit sa cause, car elles furent adjugées à Ulysse son compétiteur ; il en fut si indigné qu’il en devint fou[c]. Il se rua sur des troupeaux, et y fit une grande tuerie, s’imaginant qu’il tuait ceux qui l’avaient offensé en lui disputant les armes d’Achille, ou en les donnant à un autre. S’étant aperçu qu’il n’avait tué que des bêtes, il devint encore plus furieux, et se tua. On a dit que sa fureur fit beaucoup de bien aux assiégeans (B). Il fut condamné,

  1. Voyez, dans la remarque (A) de l’article Télamon, la généalogie d’Ajax, tant du côté paternel que du maternel.
  2. Son père régnait dans cette île. Il donna douze vaisseaux à Ajax. Homeri Iliad., lib. II.
  3. Sophocl. in Ajace. Quintus Calaber, lib. V.