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ALBERT.

sont nécessaires, et les magiciens permis de Dieu, afin que les libertins soient aucunement retirez de l’athéisme [1]. D’ailleurs, Naudé pose en fait que Roger Baccon est l’auteur de cet ouvrage, comme François Picus le soutient dans son premier livre contre les astrologues[2]. Voilà, pour la première preuve de l’accusation. Voyons maintenant ce qu’on répond à la seconde :

2°. Il y a des gens qui ont cru qu’on pouvait faire des testes d’airain sous certaines constellations, et en tirer des réponses qui servaient de guide dans toutes les affaires que l’on avait. Un certain Yepes rapporte[* 1] qu’Henri de Villeine en avait fait une à Madrid, qui fut brisée par le commandement de Jean II, roi de Castille. Virgile, le pape Silvestre, Robert de Lincolne, et Roger Baccon, ont eu de semblables têtes, si l’on en croit certains écrivains[3]. Albert-le-Grand a été jugé plus habile ; car on prétend qu’il avoit composé un homme entier de cette sorte, ayant travaillé 30 ans sans discontinuation à le forger sous divers aspects et constellations : les yeux par exemple... lorsque le soleil estoit au signe du zodiaque correspondant à une telle partie, lesquels il fondoit de metaux meslangés ensemble, et marqués des caractères des mesmes signes et planètes, et de leurs aspects divers et nécessaires : et ainsi la teste, le col, les espaules, les cuisses et les jambes, façonnez en divers temps, et montez et reliez ensemble en forme d’homme, avoient cette industrie de révéler audit Albert la solution de toutes ses principales difficultez [4]. C’est ce qu’on appelle l’Androïde d’Albert-le-Grand. Elle fut brisée, dit-on, par Thomas d’Aquin, qui ne put supporter avec patience son trop grand caquet. Henri de Assia et Barthélemi Sibille asseurent qu’elle était composée de chair et d’os ; mais par art, non par nature : ce que toutefois estant jugé impossible par les autheurs modernes, et la vertu des images, anneaux et cachets planétaires estant en grande vogue, l’on a tousjours creu depuis... que telles figures avoient esté faites de cuivre, ou de quelque autre métail, sur lequel on avoit travaillé avec la faveur du ciel et des planètes[5]. C’est sur ce pied-là que Naudé réfute les accusateurs d’Albert ; c’est-à-dire, qu’il suppose que la prétendue Androïde était composée de métal. Il montre par de très-fortes raisons, qu’elle ne pouvait, ni entendre, ni parler, ni servir d’instrument au diable pour la parole ; et que si le diable avait parlé dans cette machine, il l’aurait fait sans le concours des organes métalliques qui la composaient. Il n’aurait donc pas été nécessaire d’employer tant de temps et tant de cérémonies pour forger cette machine : une bouteille, ou une trompette, n’auraient pas été moins propres à soudre toutes les difficultés d’Albert-le-Grand. Enfin, Naudé remarque que ceux qui parlent de cette Androïde n’apportent aucune preuve du fait. Tostat, avec tout son esprit et toute sa science, ne laissait pas d’être fort crédule : ainsi son autorité n’établit rien. Si l’on veut soutenir qu’une tradition répandue comme celle-là doit avoir quelque fondement, Naudé en donne un fort plausible[6] : c’est qu’Albert-le-Grand peut avoir eu dans son cabinet une tête, ou une statue d’homme, semblable à ces machines de Boece, dont Cassiodore a dit[* 2] : Metalla mugiunt, Diomedis in ære grues buccinant, æneus anguis insibilat, aves simulatæ fritinniunt, et quæ propriam vocem nesciunt ab ære dulcedinem probantur emittere cantilenæ.

(G) Un grand miracle..... a parlé pour sa justification. ] Selon le père Théophile Raynauld, les accusateurs d’Albert disent qu’un jour des rois il traita Guillaume, comte de Hollande, et roi des Romains, qui passait par la ville de Cologne ; et que, pour rendre remarquable son repas, il changea l’hiver en un été tout plein de fleurs et de fruits. Horridum hyemen in florigeram fructiferamque

  1. (*) Apud Emanuel de Moura, sect. II, cap. XV, art. VI.
  2. (*) Lib. I, Variarum Epist. XLV.
  1. Naudé, Apologie pour les grands Hommes, pag. 527.
  2. Là même, pag. 526.
  3. Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 528.
  4. Là même, pag. 529, 530.
  5. Là même, pag. 531, 532. Il cite Pereg., Qu. III, decad cap. II, Qu. III.
  6. Là même, pag. 539, 540.