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ALCYONIUS.

dernier fait la citation de Paul Jove. S’il avait entièrement supprimé ce qui regarde Philelphe, il se serait mieux tiré de tout embarras ; car où trouverait-il que l’on ait accusé Philelphe de cette supercherie ? D’ailleurs, on n’accuse pas Alcyonius d’avoir publié le livre de Cicéron, et d’y avoir seulement changé le titre : on lui pardonnerait aisément sa vanité s’il n’était coupable que de cela ; la joie d’avoir l’ouvrage de Cicéron ferait oublier la fraude : mais on l’accuse d’en avoir tiré une riche broderie pour la mettre sur ses lambeaux, et puis d’avoir brûlé tout l’ouvrage de Cicéron : Ex libro de Gloriâ Ciceronis, quem nefariâ malignitate aboleverat multorum judicio confectum crederetur. In eo enim tanquam vario centone præclara excellentis purpuræ fila, languentibus cæteris coloribus, intertexta notabantur[1].

Ma seconde remarque est que, quand M. Varillas fait mention de François Philelphe dans les Anecdotes de Florence [2], il ne lui attribue rien par rapport au livre de Gloriâ : c’est Alcyonius seul qu’il accuse de ce forfait. Il dit[3] que ce misérable plagiaire fut obligé de consoler le provéditeur Cornaro dans l’exil où il avait été condamné pour avoir été battu faisant la guerre aux Turcs, quoiqu’il n’y eut point de sa faute. Algionus [4] lui envoya le livre intitulé De fortiter tolerandâ Exilii fortunâ : et comme ce traité n’était composé que de sentences fort mal ajustées du livre de la Gloire de Cicéron, il ne laissa pas d’être beaucoup estimé, quoique les plus judicieux remarquassent bien qu’il n’y avait aucune liaison. Algionus, ravi du succès de son ouvrage, changea le dessein qu’il avait eu de faire imprimer la pièce de Cicéron. Et comme il savait bien que personne n’en avait de copie, il le jeta dans le feu, de peur qu’on ne trouvât un jour parmi ses papiers de quoi le convaincre de larcin. Si l’on compare ce narré avec celui qui se trouve dans la Vie de Louis XI, on y admirera qu’un même homme puisse rapporter un fait avec tant de variétés incompatibles. Comme je n’ai point ce Traité d’Alcyonius, je ne puis déterminer par moi-même si M. Varillas en a bien marqué le sujet et l’occasion. Je puis dire seulement que le titre qu’il lui donne n’est point conforme à celui que Gesner a marqué, Medices Legatus, sive de Exilio liber ; et qu’un passage de ce livre[5] m’a fait connaître que Jean de Médicis, qui a été le pape Léon X, y parle. Mais ce que je ne puis déterminer par moi-même, je puis l’affirmer sur la parole d’un de mes amis, dont l’exactitude et les lumières me sont très-connues[6]. Or, voici ce qu’il vient de me marquer : « Le Legatus Medices, seu de Exilio, de Petrus Alcyonius, bien loin d’être écrit pour servir de consolation au prétendu provéditeur Cornaro, est adressé par l’auteur ad Nicolaüm Schonbergium, Pontificem Campanum[7], et dans tout le livre il n’y a pas un mot qui puisse directement ni indirectement regarder Cornaro. Cet ouvrage, imprimé à Bâle en 1546, est divisé en deux livres, dont voici le titre de mot à mot : Petri Alcyonii Medices Legatus, seu de Exilio ad Nicolaüm Schonbergium, Pontificem Campanum. Il est écrit en dialogue, dont Jean de Médicis, qui a été depuis Léon X, Jules de Médicis, et Laurent de Médicis, sont les interlocuteurs. Voilà pourquoi on a mis Medices au titre ; et parce que l’auteur suppose que ces interlocuteurs s’entretinrent peu de temps après que le pape Jules II eut envoyé Jean de Médicis comme son légat à la tête de l’armée qui devait reprendre Bologne, on a joint le mot Legatus à celui de Medices. » Voici, à coup sûr, une lourde faute. Il s’en repentit néanmoins sur la fin de sa vie (savoir Alcyonius ) et, fit une espèce d’amende honorable à la tête des deux harangues qu’il avait composées à Venise, sur la désolation de Rome par les luthériens[8]. Il ne faut point douter que l’on n’ait voulu traduire là ces paroles de Paul Jove : Verùm non multò post con-

  1. Jovius, Elogior. cap. CXXIII, p. 266.
  2. Page 169.
  3. Page 168.
  4. C’est ainsi qu’on a mis toujours dans l’édition des Anecdotes.
  5. Il est curieux : lisez-le dans les Opuscules de Colomiés, chap. XV.
  6. M. de Larroque.
  7. Il fut depuis cardinal : je parle de lui sous (Nicolas) Schomberg.
  8. Varillas, Anecdot. de Florence, p. 168.