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ALCMAN.

prète latin a mal traduit le premier vers de cette épigramme,

...Σάρδεις ἀρχῖος πατέρων νόμος.
...O ! mea majorumque meorum patria Sardes ;


car il faudrait conclure de cette version, qu’Alcman était né à Sardes [1] ; ce que l’on ne peut conclure des paroles grecques : et voilà comment un traducteur est quelquefois un semeur de zizanie lorsqu’il y pense le moins. Celui qui a mis en latin l’épigramme grecque, ne songeait pas qu’en ajoutant le mot mea, qu’il croyait être sans conséquence, il serait cause que plusieurs s’opinâtreraient à soutenir qu’Alcman n’est point né à Lacédémone. Combien y a-t-il d’auteurs qui ne consultent que les versions, et qui prennent dans les livres grecs toutes les preuves que les versions leur fournissent, soit que l’original le souffre, soit qu’il ne le souffre pas ! M. de Saumaise a savamment corrigé cette épigramme[2] ; mais je ne vois pas trop ce que veulent dire ceux qui nous renvoient à lui, comme à un juge qui a terminé le procès de la patrie d’Alcman. Il s’agit dans ce procès, si ce poëte est né à Lacédemone, ou à Sardes dans la Lydie. Suidas soutient le premier parti[3] ; Cratès soutient le second[4] ; Velleius Paterculus [5] et Élien[6] nient ce que Suidas affirme. À quoi sert l’épigramme pour terminer ce procès, puisqu’elle ne nous apprend pas où est né Alcman, mais seulement qu’il n’a pas été élevé dans Sardes, la patrie de ses ancêtres ; qu’il a été élevé à la manière des Grecs, et qu’il jouit de la bourgeoisie de Lacédémone ? Cela peut signifier également ces deux choses : ou qu’Alcman fut transporté en Grèce pendant son enfance, où que son père s’y fut établir avant que ce garçon lui fût né. En ce dernier cas, rien n’empêcherait qu’Alcman n’eût reçu le jour dans la ville de Lacédémone. Scaliger a été dans ce sentiment ; mais il s’est fondé sur une mauvaise raison. Ego, dit-il[7], Laconem fuisse arbitror, quùm Laconicâ dialecto usus sit. S’il se fût souvenu de l’épigramme que Plutarque a rapportée, il n’eût pas manqué de voir la fausseté de cette raison. Alcman n’ayant pas été élevé dans la Lydie, mais en Grèce, et demeurant à Lacédémone, a dû se servir de la dialecte dorique, qui était celle de Sparte. Quelque rude qu’elle fût, il ne laissa pas de s’en servir à faire de bons poëmes. Ὧ ποιήσαντι ἄσματα, οὐδεν ἐς ἡδονὴν αὐτῶν ἐλυμήνατο τῶν Λακώνων ἡ γλῶσσα, ἥκιςα παρεχομένη τὸ εὔϕωνον[8]. Cui in Canticis pangendis nihil omninò Laconica lingua obfuit, etsi nihil ea in vocibus appellandis habet suavitatis.

(B) Les Lacédémoniens se sont fait honneur d’avoir fourni à la Grèce un bel-esprit comme celui-là. ] Le passage de Paterculus, que j’ai cité, le prouve ; ces paroles de Stace :

Et tetricis Alcman cantatus Amyclis[9],


le prouvent aussi. Joignez à cela le sépulcre qu’ils dressèrent à Alcman, proche du temple d’Hélène[10].

(C) Il passe pour le père de la poesie galante. ] Cela paraît par ce passage d’Athénée[11], Ἀρχύτας δε ὁ Ἁρμονιακὸς, ὥς ϕησι Χαμαιλέων, Ἀλκμᾶνα γεγονέναι τῶν ἐρωτικῶν μελῶν ἡγεμόνα, και ἐκδοῦναι πρῶτον μελὸς, ἀκόλαςον ὄντα καὶ περὶ τὰς γυναίκας καὶ τὴν τοιαύτην Μοῦσαν εἰς τὰν διάτριϐας. Archytas Harmoniacus scribit, ut ait Chamæleon, amatoriis versibus condendis omnium principem et ducem Alcmanem fuisse, erga mulieres petulantissimum, et ante omnes in vulgus eam musam et ea carmina edidisse, qui in hominum congressu ac conventiculis canerentur.

(D) Il ne faut pas le distinguer du poëte Alcmæon. ] Saint Jérôme, dans la Chronique d’Eusèbe, après avoir parlé d’Alcmæon sous la 30e. olympiade, parle d’Alcman sous la 42e., et se sert de cette circonspection, ut quibusdam videtur. Scaliger a corrigé au

  1. Amiot a fait la même faute.
  2. Salmas. Exercitat. Plinian., pag. 885.
  3. Il le fait naître à Messoa, qui était un quartier de Lacédémone, selon Strabon, corrigé par Saumaise, Exercit. Plinian., pag. 885.
  4. Apud Suidam, in Ἀλκμάν.
  5. Alcmana Lacones falsò sibi vindicant. Patercul., lib. I, sub fin.
  6. Æliani Var. Hist., lib. XII, cap. I.
  7. Scalig. Animadv. in Euseb., num. 1360.
  8. Pausan., lib. III, pag. 96.
  9. Stat. Sylv. III, lib. V, vs. 153.
  10. Pausan., lib. III, pag. 96.
  11. Athen., lib. XIII, pag. 600. Vide etiam Suidam, in Ἀλκμάν.