Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
437
ALES.

tait un homme qui avait fait éclater son hérésie dans le sermon synodal, et qui méritait cette peine. Il se fâcha tellement de ce que, pendant un voyage qu’il avait fait, on avait mis Ales hors de prison, qu’il voulait à toute force l’y renvoyer, sans lui permettre d’achever une messe commencée. Mais enfin, les prières des chanoines le fléchirent : il attendit jusqu’à la fin de la messe à le renvoyer en prison. Or, comme on savait qu’il le ferait mettre au cachot dés le lendemain, on conseilla au prisonnier de prendre la fuite toute la nuit, et d’abandonner l’Écosse. Il crut ce conseil, et s’en alla en Allemagne, l’an 1532[1].

(C) Il soutint le dogme de George Major touchant la nécessité des bonnes œuvres. ] Le titre de son écrit est : De Necessitate et Merito bonorum Operum Disputatio proposita in celebri Academiâ Lipsicâ, ad xxix diem novemb. 1560. Cette dispute est la cinquième inter Anti-Tapperianas ; et voilà un Anti à ajouter au recueil de M. Baillet. Pour n’en faire pas à deux fois, rapportons ici les titres de ses principaux ouvrages : Commentarii in Evangelium Johannis, et in utramque Epistolam ad Timotheum ; Expositio in Psalmos Davidis ; De Justificatione, contra Osiandrum ; De Sanctâ Trinitate, cum Confutatione erroris Valentini Gentilis ; Responsio ad triginta et duos Articulos Theologorum Lovaniensium, etc.

(D) Il eut une querelle sur la question si le magistrat peut et doit punir la paillardise ? ] On entend assez que cette dispute ne roulait point sur l’adultère, mais sur la simple fornication ; car encore que la punition de l’adultère soit une chose aussi rare que ce crime-là est fréquent, elle passe néanmoins pour légitime entre les docteurs chrétiens. Ales n’avait donc à combattre qu’un antagoniste, qui lui soutint que le magistrat ne peut ni ne doit punir la fornication. On différa de prononcer sur cette dispute ; et il y a beaucoup d’apparence qu’Ales, indigné de ce délai, ne voulut plus demeurer parmi des gens qui se déclaraient si favorables à l’impunité des fornicateurs. Cum A. 1542, dit Thomasius[2], inter ipsum et alium quendam exorta esset controversia de quæstione, possitne ac debeat magistratus politicus scortationem punire ? veramque Melanchthonis calculo approbatam [* 1], defendente Alesio, nihilominùs hujus disputationis decisio juberetur differri : offensus, ut apparet, hâc bonæ causæ procrastinatione Alesius, non exspectato Principis adventu, discessit [* 2]. L’indignation ne sied pas mal dans un tel cas à un professeur en théologie qui avait vu la naissance de la réformation, et qui devait naturellement espérer qu’il ne vivrait pas assez pour voir revenir la morale au premier relâchement. Rien ne pouvait faire plus d’honneur à la religion protestante que la sévérité des maximes qui se rapportent à la chasteté ; car l’observation de ces maximes est le triomphe le plus malaisé à obtenir sur la nature, et celui qui peut le mieux témoigner que l’on tient à Dieu par les liaisons réciproques de sa protection et de son amour. C’était donc un grand sujet de scandale que, dès l’an 1542, un théologien protestant, qui soutenait que les magistrats peuvent et doivent punir les fornicateurs, trouvât des oppositions, et y succombât en quelque manière. Aujourd’hui que l’on est tout accoutumé à la tolérance de ce crime, personne presque ne s’en offense. Un fort honnête homme m’a assuré depuis peu, que les magistrats de Strasbourg ont une telle indulgence pour une fille qui s’est laissé faire un enfant, que, pourvu qu’elle leur vienne payer l’amende à quoi ces sortes de fautes sont taxées, ils lui donnent la réintegrande, ils la réhabilitent dans sa première réputation, ils établissent des peines contre tous ceux qui oseraient à l’avenir lui faire le moindre reproche. Voilà sans doute un privilége plus singulier que celui de donner des lettres de réhabilitation aux familles qui ont dérogé à leur noblesse ; et s’il était permis de rire dans une matière de cette importance, on dirait que les magistrats de Stras-

  1. (*) In Epist. Responsoriâ ad Academiam Francofordianam, quam leges part. I. Consil. Theol. Phil. Melanchthon., pag. 523.
  2. (*) Phil. Melanch. Epist. ad Camerar., pag. 413, 414.
  1. Jacob. Thomasius, in Oratione de Alesio.
  2. Ibidem, pag. 318.