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ABARIS.

cle, et que l’oracle avait répondu que, si les Athéniens offraient un tel sacrifice, le mal cesserait[1]. Ce fut donc alors que tant d’ambassades furent envoyées à Athènes, et qu’Abaris y fut envoyé de la part du peuple hyperboréen. Hippostrate ne se serait donc guère éloigné de la vérité en mettant ce voyage d’Abaris sous la 3e. olympiade. Si les conjectures de Scaliger sur un passage de Firmicus Maternus, concernant le Palladium, sont bonnes, il y a eu des auteurs qui ont fait remonter prodigieusement le temps d’Abaris ; il faudrait, selon cela, qu’il eût vécu long-temps avant la prise de Troie. Nous verrons bientôt ce que c’est. D’autres l’ont fait redescendre jusques au siècle d’Alexandre-le-Grand ; il est vrai que ce n’est que par un enthousiasme d’orateur, à quoi si nous voulions prendre garde, nous nous taillerions trop de besogne. La description que le sophiste Himérius nous a laissée[2] de l’équipage avec lequel Abaris se présenta aux Athéniens, convient merveilleusement à un barbare ; mais il n’était Scythe, dit-il, que dans son habit ; sa langue était grecque, et dès qu’il la remuait, on croyait entendre un discours sorti du milieu de l’académie ou du lycée. Quelle absurdité ! Platon et Aristote avaient-ils déjà fondé des écoles au temps d’Abaris ? Quelqu’un[3] a voulu concilier ces difficultés en supposant qu’il y a eu deux Abaris : Mais sa supposition est insuffisante ; il en faudrait cinq ou six pour bien réussir ; deux n’ôtent pas les divisions : ce n’est pas la peine.

(D) Variété de sentimens qui a fait broncher quelques modernes. ] Vossius préfère à tout autre sentiment l’opinion de ceux qui font fleurir Abaris entre la 30e. et la 38e. olympiade. Ce temps-là dit-il[4], est, selon Eusèbe, celui de la tyrannie de Phalaris ; Phalaris tyrannidem exercuit ab olympiadis XXX (il fallait dire XXXI) an. II, usque ad olympiadis XXXVIII an. II, teste Eusebio : or Abaris a été contemporain de ce tyran. Il réfute par cette hypothèse ceux qui disent qu’Abaris a été disciple de Pythagore ; car il observe que Pythagore fleurit l’an 1er. de la 60e. olympiade, et mourut vers la fin de la 70e. Il remarque qu’un disciple de Pythagore n’a pu écrire des lettres à Phalaris. Enfin il assure que tous les anciens ont fait Abaris antérieur non-seulement à Pythagore, mais aussi à Solon. Antiqui omnes de Abari loquuntur ut non Pythagora modò, sed Solone etiam antiquiori[5]. Il n’y a guère de solidité dans ces remarques de Vossius ; car le même Eusèbe, qui en est le fondement, a situé, en un autre lieu, Phalanis sous l’an 3 de la 53e. olympiade, et le voyage d’Abaris sous l’an 2 de la 54e. Vossius devait prendre garde à cela, et se souvenir que le passage d’Eusèbe, qu’il ne cite pas, a été préféré par Scaliger[6] à celui qu’il cite. Scaliger se fonde sur ce que le commencement de la tyrannie de Phalaris a été placé par Suïdas sous l’olympiade 52, outre qu’Orose remarque que Cyrus et ce tyran ont été contemporains[7]. Il est donc visible que les conséquences que Vossius a tirées de ce qu’Abaris et Phalaris ont vécu en même temps ne sont guère bonnes ; car Abaris aurait pu écrire à Phalaris après l’olympiade 52, et voir Pythagore après l’olympiade 60[8]. Quoi qu’il en soit, on n’a pas dû dire que, suivant tous les anciens, Solon a vécu après Abaris ; car nous savons qu’il donna ses lois aux Athéniens en la 46e. olympiade[9], et qu’Eusèbe met Abaris sous la 82°[10].

M. Moréri s’est mal servi des observations de Vossius. Il trouve de l’opposition en ceux qui disent qu’Abaris vivait avant Solon, et ceux qui disent que c’était du temps de Tullus Hostilius, où d’Ancus Martius, roi des Romains. Ce ne sont pas deux sentimens différens ; il n’y a point de chronologie qui voulût se faire un scrupule d’assurer que ces deux rois ont précédé Solon. Ce passage de Vossius,

  1. Scholiast. Aristophan. in Equit.
  2. Apud Photium, pag. 1136.
  3. Edward. Simsonius, apud Konig. Bibl. Vet. et Nov., pag. 1
  4. Vossius, de Poëtis Græcis, cap. III, p. 16.
  5. Id. ibid.
  6. Scaligeri Animadv. in Eusebium, n. 1452, pag. 84.
  7. Id. ib. n. 1390, pag. 94.
  8. Notez qu’Abaris, selon Jamblique, était vieux, quand il fut instruit par Pythagore.
  9. Scaliger ubi suprà, n. 1422, pag. 86.
  10. Voyez la remarque précédente, citation (26).