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manité surtout l’œuvre déborde. La splendeur lyrique des tableaux de l’usine en travail ne parvient pas à étouffer la puissante émotion humaine dont ces pages de douleur sont lourdes. La vie d’un laminoir n’est que le cadre d’une action où évolue, de la tendresse jeune aux plus sombres péripéties du malheur et du vice, un couple ouvrier. À travers ce ménage que désagrège l’indignité de la femelle, une humanité de dur-peinants saigne et dénombre ses plaies. Une immense pitié fait tressaillir cette farouche épopée du travail. Lemonnier se manifeste ici avec toutes ses puissances d’artisan aux larges épaules, pétrissant en pleine vie l’humanité de son art d’écrivain, sanguin et riche. Il est certains épisodes de Happe-Chair qui, vis-à-vis de l’œuvre entier, se maintiennent parmi les beautés définitives, tels que le châtiment du premier adultère de Clarinette, l’explosion de l’usine, ou le pourchas nocturne à travers les rues de l’épouse crapuleuse. Et le livre demeure en son ensemble, l’une des pages fortement représentatives de l’écrivain.

Il faut avouer que Madame Lupar ne se maintient pas à ces hauteurs. Ce « roman bourgeois » est plutôt une erreur de la part d’un écrivain que réclame impérieusement un art tout autre. Le thème en demeure trop manifestement au-dessous de lui, et l’art personnel, pittoresque et fort qu’il n’y peut complètement abdiquer apparaît plaqué sur la banalité du roman. La matière déborde et reflue sur le sujet trop mince, quelque douloureux efforts auxquels il se contraigne pour y atténuer sa forme. Que la disproportion apparaisse, en de tels cas, choquante, — comme une somptueuse étoffe aux tons riches revêtant une pauvre anatomie, — ceci est à l’honneur de son art, car chez un médiocre ouvrier cette antinomie ne se dénoncerait pas. Le livre manque aussi de concentration et d’équilibre ; il apparaît trop une suite heurtée de petits tableaux naturalistes. Il ne faudrait