Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/125

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d’espoir le soutenait et redonnait de la force à ses vieux bras. Il fallait trouver du secours. Debout, cherchant à s’orienter dans cette nuit profonde, le père continua quelque temps d’avancer avant de découvrir un feu de ferme. Puis un rayon de lumière perça les brumes, à droite. La yole glissa plus vite. En suivant le fossé elle s’approcha, et le métayer put reconnaître la métairie au dessin des portes et des fenêtres éclairées. Hélas ! c’était la Seulière, et on y veillait. Des bruits de rires, des chansons, les notes essoufflées de l’accordéon flottaient autour des murs et se dispersaient dans le vent. Le métayer longea la motte brune, et la dépassa. Mais tout en yolant, le plus rapidement qu’il pouvait, il épiait si la grande ombre que faisait Mathurin n’avait pas remué, et, la voyant immobile, il pensa : « Mon enfant est mort. »

À cinq cents mètres au delà, et de l’autre côté du canal, il savait maintenant qu’il y avait une autre maison, et il se hâtait vers elle. Car c’était, cette fois, la Terre-Aymont, la ferme de Massonneau le Glorieux, son ami. Et bientôt le métayer jeta la chaîne de sa yole autour d’un saule, débarqua, et courut à la porte en criant :

— Glorieux ! Glorieux ! Au secours !

Entre la métairie de la Terre-Aymont et le saule qui retenait la barque, sur la pente boueuse du tertre, il y eut bientôt des lumières en marche, des hommes et des femmes qui se précipitaient, des plaintes, des larmes, des prières à voix basse. Toute la maison qui s’endormait fut sur pied en un moment, et groupée auprès de la rive. Massonneau voulait transporter Mathurin dans la salle de la Terre-Aymont et envoyer chercher le médecin de Challans, mais Toussaint Lumineau, ayant considéré de nouveau et touché le corps de son fils, répondit :

— Non, Glorieux. C’est fini de souffrir, pour lui : je veux l’emmener à la Fromentière.

Alors, le métayer de la Terre-Aymont se tourna vers deux jeunes hommes qui se tenaient en arrière, et, appuyés l’un sur l’autre, leurs têtes brunes se touchant, semblaient regarder la mort pour la première fois.

— Mes gars, dit-il, allez chercher la grande yole de chez nous.

Ils disparurent dans les brumes, et coururent