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et ont fini par assurer que l’intention du parlement était de traiter sans pitié le Jay, Bertrand et Beaumarchais, pour avoir osé toucher à la réputation du magistrat le plus intègre, etc. »

Je me rappelle fort bien tous ces faits, et comment vous refusâtes obstinément de me dire le nom des quatre conseillers, comment je me mis en colère, et comment enfin je résolus de n’avoir plus aucun commerce avec un homme aussi faux et aussi faible.

L’anecdote du cartel intercepté, dont parle la confrontation, est apparemment la suite de cette colère.

Mais que vouliez-vous donc dire, monsieur, en m’invitant à prendre une épée d’or ? Est-ce que vous aviez posé pour loi de ce combat que la dépouille du vaincu resterait au vainqueur ? Les gens de votre état ont beau être en colère, ils ne perdent jamais la tête.

Mais quelle est enfin cette affreuse histoire des quatre conseillers ? était-ce encore un piége de Marin ? car on m’en a tendu mille en trois mois, pour m’engager à faire une fausse démarche. Était-ce un leurre ou une vérité ? Comme ce fait intéresse l’honneur de la magistrature, et qu’il importe autant au parlement qu’à moi qu’il soit éclairci ; avant de juger l’affaire, je supplie la cour d’ordonner qu’il soit informé scrupuleusement sur ce fait, que les neuf témoins soient entendus, que le sieur Bertrand soit interrogé sur le nom de la dame, sur celui des convives du dîner, sur leurs discours, etc., etc.

Dans une affaire aussi importante, un tel examen n’est pas à négliger. Ou le sieur Bertrand est un fourbe, qui doit être puni pour avoir calomnié quatre magistrats sur le point le plus délicat de leur devoir, dans la seule vue de nous effrayer ; ou les quatre conseillers reconnus doivent être suppliés de vouloir bien se dispenser de juger dans une affaire sur laquelle ils ont montré tant de partialité.

Jusqu’à ce moment nous avions tous aimé ce Bertrand, quoiqu’il soit entaché du petit défaut d’altérer toujours la vérité ; mais il y a beaucoup de gens en qui l’habitude de mentir est plutôt un vice d’éducation, une faiblesse, un embarras de ne savoir que dire, qu’un dessein prémédité de mal faire. Et, dans le fond, cela revient au même. Une fois connus, ce n’est plus qu’une règle d’équation très-aisée, et qui ne gêne personne : Il a dit cela, donc c’est le contraire ; et les choses n’en vont pas moins leur train.

Mais, pour cette aventure, elle est trop sérieuse, il n’y a pas moyen d’y appliquer notre équation. Qui sait si l’éclaircissement de ce fait ne nous montrera pas le nœud caché de toute l’intrigue entre Bertrand, Marin et consorts ?

Tel qui croyait n’avoir harponné qu’un marsouin,
Amène quelquefois un lourd hippopotame.

Regnier, sat. iv.


En courant une chose, on en rencontre une autre ; et c’est ainsi qu’un cénobite allemand, en cherchant le grand œuvre dans la mixtion de divers ingrédients méprisables, n’y trouva pas à la vérité la poudre d’or qui devait enrichir le genre humain, mais découvrit, chemin faisant, la poudre à canon qui le détruit si ingénieusement. Ce n’est pas tout perdre ; et, comme on voit, en toute affaire il est bon de chercher, informer, scruter ; aussi espéré-je que la cour voudra bien ordonner qu’il soit informé sur le fait des quatre magistrats, avant de s’occuper de l’examen des pièces du procès.

La fin de votre mémoire, monsieur, n’a aucun rapport à l’affaire présente ; mais il n’est pas moins juste de vous donner satisfaction sur tous les articles.

À l’occasion d’une lettre que le sieur Marin vous a forcé de lui écrire, et que j’ai osé prévoir n’être jamais préjudiciable qu’à vous, vous me reprochez les services que vous avez bien voulu me rendre, et dont j’ai toujours été très-reconnaissant : cela est dur.

Je vous dois, dites-vous, le luminaire du convoi de ma femme que vous m’avez fourni. À la rigueur cela se peut : j’ai même quelque idée que, depuis cet affreux événement qui a renversé ma fortune encore une fois, l’épicier de la maison s’est plaint qu’un autre eût fait le bénéfice de cette triste fourniture : je lui dis alors ce que je vous répète aujourd’hui. Abîmé dans la douleur de la perte d’une femme chérie, vous sentez que tous les détails funéraires, confiés à quelque ami, m’ont été absolument étrangers. Mais à cette époque il a été payé chez moi pour 39,000 francs de dettes, mémoires ou fournitures : comment avez-vous négligé de parler de la vôtre alors ? Était-ce pour me rappeler un jour au plus affreux souvenir, en me demandant, par la voie scandaleuse d’un mémoire imprimé, 150 ou 200 livres, qui vous auraient tout aussi bien été payées que d’autres mémoires de vous, du même temps, que je trouve acquittés pour huile, anchois, etc. ?…

Vous avez depuis été chargé, par moi, d’un billet de deux mille livres que j’ai été obligé de rembourser par l’insolvabilité du vrai débiteur, et que j’ai chez moi : s’il vous est dû des frais de poursuite, de courtage, escompte, etc…, ou même quelque appoint, je suis bien éloigné de vous refuser le juste salaire de vos soins en toute occasion.

Le jour qu’il a plu au roi de me rendre à ma famille, à mes affaires, mes parents accoururent m’apporter cette bonne nouvelle en prison. On est toujours pressé de quitter de pareils domiciles ; mais le loyer, le traiteur, le greffe, les porte-clefs, tout est hors de prix dans ces maisons royales : je me rappelle bien que je vidai ma bourse, et que ma sœur, pour compléter la somme et m’emmener bien vite, tira douze louis de sa poche, et