Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/410

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m’a été prescrite, sans que la cour s’en trouve offensée


— « Répondez comme vous l’entendrez ; mais soyez bref. »

— Messieurs, je n'étais point l’ami de ce Bertrand Dairolles, mais seulement sa connaissance : aujourd’hui je ne suis point son ennemi, mais seulement son accusateur. L'amitié et l'inimitié supposent dans leur objet une importance qu’on ne peut pas attacher à l’homme dont il s’agit : créa-

!, et toujours entraînée par le plus misérable 

intérêt ; froid à mon égard tant qu’il n’a pas cédé à l’impulsion de Marin ; ayant fait depuis le mal sans scrupule, quand cette impulsion s’est ir je ne sais quel espoir de fortune. Avec les esprits de cette trempe on n’y fait pas tant de façons : l’appât le plus gross inordre, et les tire de leur élément. Je prouverais bien, si - . comment en très-peu de temps ce Bertrand est devenu un fort malhonnête homme ; mais je déclare que je n’ai pas contre lui la moindre animosité. Il n’y a dans tout cela que Marin qui en mérite.

— <’ Pourquoi donc êtes-vous devenu l’ennemi de Marin , dont vous aviez été. l’ami jusqu’alors ? »

— Monseigneur, tant que Marin ne m’a pas fait de mal, je me suis tenu à son égard dans les termes de la politesse ordinaire. Il censurait mes pièces de théâtre : il prétend aujourd’hui qu’il les corrigeait, qu’il les faisait même ; il n’y a que mes mémoires sur lesquels il ne prétend rien. Mais il n’y a pas là de quoi se brouiller ; cela prouve seulement que le censeur Marin veut avoir en tout l’air d’une importance au delà de ses pouvoirs : son bonheur est de paraître tout savoir, tout faire et tout arranger. Il conseille la magistrature, il dirige les opérations du ministère, il refait les ouvrages des auteurs, il est de tous les conseils, entre dans tous les cabinets ; sa fureur est d’être pour quelque chose dans tout ce qui se fait : c’est l’omnis hotno, la mouche du coche ; il bourdonne et tourne et sue pour les chevaux qui tirent, et se donne la gloire de tous les événements où il n’est pas prouvé qu’on l’a forcé de se taire. Dans cette querelle il a jugé qu il y aurait pour lui plus de profit à servir I n lit qu ;i défendre le particulier. Le parti pris par un tel homme, on sent que les moyens sont comptés pour rien. L’habitude de mal faire lui a peut-être même ôté la conscience du mal qu’il me faisait. Je ne le hais pas non pluss, et si tout le monde l’estimait aussi juste que moi, il y a longtemps que pour toute peine en l’aurait réduit à l’inaction et au silence, seul vrai tourment des gens de son caractère.

■ .fin- l’assemblée un murmure qui me parut être celui d’un sourire universel. M. I>' premier président, s'adressant alors à la cour, demanda si quelqu’un avait d< - qui . et M. Doë de Combault, rapporteur, prit la parole :

, (Miel jour avez-vous rendu à le Jay la montre enrichie de diamants ? n

— Monsieur, c’est le dimanche l avril, lendemain du jour où j’ai obtenu la seule audience qui m’ait été donnée.

— o Prenez garde, monsieur, si

. plutôt le samedi 3. avant l’audience obtenu-’ : a rappelez-vous bien. »

Je sens, monsieur, toute l’importance de votre question. Si j’ai donné la montre avant l’audience, on peut croire que j’ai plutôt, en accumulant les présents, d’exciter la cupidité dont je voulais gagner le suffrage, que de payer successivement des audiences ; mais j’ai la mémoire très-fraîche sur ce fait. La montre n’a été par moi remise à Bertrand pour être remise à le l être remise à madame Goézman, que le dit 4 avril, à défaut de cent autres louis pas. et sur les difficultés que mes amis et moi aperçûmes d’obtenir une autre audience sans de nouveaux sacrifices.

— « Mais le libraire déclare qu’il a reçu la montre le samedi, qu’elle a passé une nuit chez lui. »

— Monsieur, le libraire a tort. Si cette montre est restée chez lui (ce que j’ignore), ce ne peut être à la rigueur que la nuit du dimanche au lundi. Je ne sais pas ce qui s’est dit de la part d’autrui : mais de la mienne, messieurs, vous ne ti jamais d’obscurité dans mes réponses, ni de contradiction dans ma conduite. Je d n’ai remis la montre à Bertrand que le dimanche au matin.

Alors, il se fit un bruit dans l’assemblée ; chacun disait : Oui, oui. c’est le dimanche : et telle est la dernière déclaration de le Jay.

La séance paraissait finie, lorsqu’un de Mes-- enquêtes, devant la voix, me dit de la manière du monde la plus polie :

— • Monsieur de Beaumarchais, répondez à ce que je vais vous dire : Vous • ’■'■ - un homme instruit, et vous connaissez les lois de la morale. »

— Monsieur, la morale est le principe de toutes les actions de l’homme en société : il n’est permis à personne de les ignorer.

— « Répondez donc exactement. Dans la persuasion où vous paraissez être que votre rapporteur était d’accord avec sa femme sur les sommes qui devaient vous acquérir son suffrage, si son rapport en votre faveur eût fait sortir un arrêt à votre avantage, auriez-vous cru en homme délicat pouvoir profiter du bénéfice de cet arrêt ? »

- Je vous demande pardon, monsieur, si j’observe que votre question, étrangère à la cause, me paraît seulement un cas de conscience. Ce n’est pas pour éluder d’y répondre que je fais cette remarque, mais seulement pour que la cour ne soit