Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/417

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obtenir une réparation éclatante de toutes les calomnies du sieur de Beaumarchais. »

Cela va bien. Marin avait déjà dit, dans sa requête imprimée, qu’en le montrant au doigt j’avais insulté la majesté du trône, berné le gouvernement, injurié la magistrature, bravé les tribunaux, outragé les citoyens : car

Qui méprise Marin n’estime point son roi,
Et n’a, selon Marin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

Mais gardez-vous bien d’en croire ce monsieur-là ; à son compte, il n’y aurait pas un seul bon Français dans la capitale.

Puis ayant rappelé, d’après moi, toutes ses friperies de mémoires, de littérature, de censures de nouvelles, d’affaires, de courtage (condamnation passée sur l’espionnage, puisqu’il n’en dit mot), d’usure, d’intrigue, etc., quatre pages d’et caetera, il avait prié la cour de lui permettre de faire informer des faits énoncés dans mes mémoires. Mais, trouvant bientôt qu’il était trop dangereux pour lui de laisser informer, il s’était retranché à demander à la cour que, sans autre examen, et attendu, disait-il, que ce ne sont que des calomnies atroces, elle ordonnât que mes mémoires fussent déclarés faux et calomnieux, défenses de récidiver, et dommages-intérêts applicables à œuvres pies, etc.

Mais moi qui prétends à l’honneur de soutenir tout ce que j’ai avancé, de ces deux manières de conclure imaginées par Marin, j’ai adopté la première ; et, par ma requête en réponse à la sienne, j’ai supplié la cour, avec lui ou sans lui, d’ordonner qu’il fût informé sur les faits et les imputations contenus dans mon mémoire contre ledit Marin.

Pour réclamer à cet égard la vigilance du ministère public, il me suffirait de mon intérêt personnel ; mais ici l’intérêt de l’État et de la société doit fixer encore plus l’attention de messieurs les gens du roi. La police, aussi exacte que patriotique en cette grave occasion, n’aura certainement point de secrets pour la cour, elle lui ouvrira ses registres ; et c’est à la faveur des renseignements qu’on y puisera, que le parlement et la nation seront en état de prononcer si l’intérêt public et particulier ne sont pas ici combinés le plus heureusement du monde pour démasquer le précepteur Marin, et pour renvoyer ledit précepteur à l’orgue de la Ciotat[1], d’où il est descendu si mal à propos.

Et si, dans les informations qu’on ferait contre l’ami Marin, qui m’a voulu faire passer pour l’auteur de la…, on découvrait par hasard que l’ami était un zélé distributeur de la… ! Au reste, ce n’aurait été qu’une des branches ordinaires de son commerce : car il faut savoir que l’ami, confisquant par état tous les livres défendus, ne les en a toujours vendus que plus cher aux amateurs.

Quelqu’un m’arrête ici, qui me dit : Prenez garde, ce n’est pas Marin, c’est Bertrand qui, dans son mémoire, a voulu vous faire passer pour l’auteur de la… Eh ! messieurs, ne savez-vous pas que les mémoires du grand cousin ne sont que des enveloppes de gazettes, et qu’ici le sacristain et l’organiste s’entendent comme larrons pour sauver le publiciste ?

Ah ! monsieur Marin, que vous êtes loin aujourd’hui de cet heureux temps où, la tête rase et nue, en long habit de lin, symbole de votre innocence, vous enchantiez toute la Ciotat par la gentillesse de vos fredons sur l’orgue, ou la claire mélodie de vos chants au lutrin ! Si quelque prophète arabe, abordant sur la côte, et vous voyant un si joli enfant… de chœur, vous eût dit : « Petit abbé, prenez bien garde à vous, mon ami ; ayez toujours la crainte de Dieu devant les yeux, mon enfant ; sinon, vous deviendrez un jour… » tout ce que vous êtes devenu enfin ; ne vous seriez-vous pas écrié, dans votre tunique de lin, comme un autre Joas :

Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction,
Détournez loin de moi sa malédiction,
Et ne souffrez jamais qu’elle soit accomplie !
Faites que Marin meure avant qu’il vous oublie !

Il a bien changé le Marin ! Et voyez comme le mal gagne et se propage, quand on néglige de l’arrêter dans son principe ! Ce Marin qui d’abord, pour toute volupté,

Présentait au vicaireQuelquefois à l’autel
Présentait au vicaire ou l’offrande ou le sel,

quitte la jaquette et les galoches, ne fait qu’un saut de l’orgue au préceptorat, à la censure, au secrétariat, enfin à la gazette ; et voilà mon Marin les bras retroussés jusqu’au coude, et pêchant le mal en eau trouble : il en dit hautement tant qu’il veut, il en fait sourdement tant qu’il peut : il arrête d’un côté les réputations qu’il déchire de l’autre : censures, gazettes étrangères, nouvelles à la main, à la bouche, à la presse ; journaux, petites feuilles, lettres courantes, fabriquées, supposées, distribuées, etc., etc., encore quatre pages d’et cætera ; tout est à son usage. Écrivain éloquent, censeur habile, gazetier véridique, journalier de pamphlets ; s’il marche, il rampe comme un serpent ; s’il s’élève, il tombe comme un crapaud. Enfin, se traînant, gravissant, et par sauts et par bonds, toujours le ventre à terre, il a tant fait par ses journées, qu’enfin nous avons vu de nos jours le corsaire allant à Versailles, tiré à quatre chevaux sur la route, portant pour armoiries aux panneaux

  1. La Ciotat, petite ville de Provence, où le petit Marin fredonnait, pour de petits gages, sur un petit orgue dans une petite paroisse.