Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/514

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écrire de pareilles bêtises ? le croira-t-on ? Telle est ma septième preuve.

Apprenez encore, lecteur, qu’il n’est pas vrai qu’il y ait une surcharge d’écriture sur ce billet qui puisse empêcher aujourd’hui l’inscription en faux, si l’on osait la prendre comme le dit la légion (page 43), et que ce billet n’a été déshonoré, comme je vous l’ai appris, que par une roussissure générale à l’endroit de l’écriture, qui prouve qu’on l’a mis au feu pour lui faire subir je ne sais quelle épreuve ; et parce qu’on a posé quelques petits pâtés d’encre sur les premiers mots du billet, pour lui donner au moins un air louche à la première inspection ; ce qui ne fait rien du tout au corps de l’écriture, ainsi que je l’ai fait expressément remarquer aux magistrats dans le cours de l’instruction ; et c’est ma huitième preuve.

Mais comme je me plais à cette question, parce qu’une fois bien nettoyée, elle vous peint à miracle, monsieur le comte, vous, vos moyens, vos défenses et vos défenseurs ; que d’ailleurs ce fait du mot et du cachet est de la plus grande importance, et ne fût-ce que parce que je viens d’avoir le plaisir de vous empiéger dans le plus terrible traquenard, je ne puis quitter ce cachet apposé sur un mot, qui d’abord était de l’écriture de M. Duverney, et qui n’en est plus aujourd’hui : je ne puis, dis-je, le quitter tant qu’il vous restera le plus léger espoir d’entretenir un doute à son égard dans l’esprit de vos auditeurs bénévoles. Donc, pour le couler à fond, en vous ménageant une dernière ressource, je vais vous proposer un petit argument à l’anglaise, qui n’en aura pas moins de force, quoiqu’il n’ait pas tout le clinquant de votre logique française. Écoutez-moi bien :

J’ai déposé chez Me  Pierre Boyer, notaire de cette ville, l’obligation suivante, à laquelle je vous invite de joindre la vôtre, en changeant seulement les noms et les circonstances nécessaires :

« Je soussigné, m’oblige et m’engage à payer à M. le comte de la Blache la somme de cinquante mille francs, si dans l’espace de deux mois je ne prouve pas, par le témoignage écrit de Me  de Junquière, procureur au parlement de Paris, et par l’attestation que je supplierai Me  Dufour, maître des requêtes, notre commun rapporteur aux requêtes de l’hôtel, de donner, qu’après le plaidoyer et le mémoire de Me  Caillard sur ma prétendue friponnerie du cachet appliqué sur le mot Beaumarchais et la déclaration de Me  de Junquière à l’audience, Me  Dufour se convainquit de nouveau, en faisant écrire à Me  de Junquière mon nom plusieurs fois couramment, que le mot Beaumarchais qu’on lit sur la lettre du 5 avril avait été écrit par ledit Me  de Junquière en 1772, ainsi qu’il est dit dans mon mémoire, et non par M. Duverney, bien longtemps avant, comme le prétendait Me  Caillard. Attestation du procureur et témoignage du magistrat, qui prouveront que le mot a été couvert d’un cachet par la supercherie de mes ennemis : et je me soumets, dans le cas de la non-preuve offerte, audit payement ci-dessus énoncé, dont la somme est déposée à cet effet chez MM. Péchier et Bouillon, à Marseille, au profit du comte de la Blache, à la seule condition que le comte de la Blache s’engagera, par une semblable obligation et un semblable dépôt, au payement de pareille somme au profit des pauvres de cette ville, aussitôt que j’aurai fourni ladite attestation et ledit témoignage, les seuls qui restent à donner aujourd’hui de cette falsification de mon titre. Fait à Aix, le 19 juillet 1778.

« Signé Caron de Beaumarchais. »

Voilà, monsieur le comte, ce que j’avais à vous dire sur votre dénégation actuelle. C’est à vous à montrer si j’ai bien ou mal raisonné sur ce fait, si ma preuve est louche ou complète, et si ma proposition est bonne à prendre ou à laisser. Je vous attends.

Donc il ne faut pas tant se récrier sur la méchanceté de ce pauvre mémoire, que vous voudriez qu’on réduisît en cendres. Mais ce n’est pas cela que vous vouliez dire : car, si vous faites ici la montre d’un grand ressentiment, pour la satisfaction duquel vous demandez un holocauste, avouez que de cet ouvrage, dont vous désirez qu’on détruise au moins un exemplaire aujourd’hui, vous eussiez donné bien des choses pour qu’on empêchât tous les autres de paraître, s’il y eût eu la moindre apparence d’y réussir. Voilà ce que vous vouliez dire. Mais ils existent, ces exemplaires, et ils existeront comme un monument de honte à jamais imprimé sur vous ; et c’est encore ce que je vous prédis.

Ce mémoire est insolent, répètent en chorus les six avocats du légataire universel. L’auteur, au lieu de se défendre, y dit des sottises au comte de la Blache. Hé ! non, messieurs, ce n’est pas le mot. L’auteur, pour se défendre, y dit les sottises du comte de la Blache ; et c’est bien différent.

Le comte de la Blache a fait le mal, et je dis le mal que le comte de la Blache a fait. Au lieu de me calomnier vous-mêmes, prouvez que j’ai calomnié le comte de la Blache, et c’est alors que vous aurez rempli noblement votre tâche, et que mon mémoire sera digne du supplice auquel vous voulez qu’on le destine.

J’ai pris, comme un rat, votre homme en un filet dont il cherche à ronger les mailles. Devez-vous aider, messieurs, de toutes les facultés de la langue et des dents, à ses efforts, à ce misérable rongement de maillons ? Et le métier d’un noble avocat est-il de descendre de son cabinet au cours, et d’y faire d’un défenseur public un insolent privilégié ? Heureusement je suis là ; je vous vois ronger, et je tiens l’aiguille et le fil pour recoudre à mesure tout ce qu’on s’efforce d’altérer à mon filet.