Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/784

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« En détournant la rue des Trois-Pavillons, à l’habitation où vous êtes, on nous crie : Halte ici ! enveloppez la maison ; et je me dis : Grand Dieu ! par quelle fatalité me trouvé-je avec ceux qui viennent pour arrêter M. de Beaumarchais ? Moi aussi, je croyais rêver. Je me suis contenu de mon mieux, pour voir où tout aboutirait.

« Le domestique ouvre la porte, et pense tomber à la renverse, me trouvant parmi ces messieurs ; il a cru que la trahison qu’il avait soupçonnée dans vos gens s’était étendue jusqu’à moi : il balbutiait. Alors on a lu à haute voix l’ordre donné par la section de venir visiter ici, soupçonnant qu’il y a des armes. — Eh bien ! alors, lui dis-je, comment n'êtes-vous pas accouru ? comment n’avez-vous eu nulle pitié de moi ?— Ma terreur n’a fait qu’augmenter, dit Gudin ; à cette lecture j’ai eu la bouche encore plus close, et n’étais que plus effrayé, ne sachant pas, monsieur, s’il y avait ou non des armes ; mais présumant avec effroi que, s’il s’en trouvait par malheur, vous alliez être victime de vous être enfermé ici, j’ai vu tous les rapports affreux de cette nuit à la visite qu’on venait de faire chez vous.

« Pendant le cours de la recherche, enfin j’ai (i n vé le moment de dire tout bas au domestique : L’ami de votre maître est-il dans la maison ? (i — Il y est, m’a-t-il dit. Dans un autre moment - je lui ai demandé : Mais où < st-il ? — Je in n sais n’ n. Il ne pouvait pas s’éloigner, il éclairai) les rechercheurs ; on ne le perdait pas de vue. Je me suis glissé sans lumière, a continué M.Gudin, jusqu’à la chambre de votre lit : je vous ai cherci i hé à tâtons, dessus, dessous, vous appelant tout ■ bas ; mais vous étiez ailleurs, et je ne pouvais de iner où je devais vous aller prendre, ti Enfin, la recherche achevée, assuré que la ..calomnie ,i,iil meure manque son coup, et c qu’on ne trouvait rien ici, j’ai confié à tous ces messieurs par quel hasard vous vous trouviez caché dans la chambre du maître, el leur étonc ncmciil a au moins égalé le nôtre. Dieu merci, n le mal esl passé : recouchez-vous, monsieur, et lâchez de dormir, vous devez en avoir besoin. » Alors toute la patrouille élan) entrée dans cette chambre, j’ai dit au commissaire de section : Monsieur, von-, me voyez ici sous la sauvegarde de l’amitié ; je ne puis mieux payer l’asile qu’elle me donnait qu’en vous priant, au nom de imui ami, qui esl cxcellcn) citoyen, de rendre voire isile aussi sévère que le peuple l’a faite hier chez moi, cl d’en dresser procès-verbal, pour que sa sûrclé ne soii plus compromise par d’infj - calomnies. Monsieur, m’a dit le loi issairc, noire procès-verbal esl clos : voire - ami est en sûreté.

Ces messieurs sont partis, et ont dit au peuple, aux femmes dans la rue, que cette maison était pure. Les femmes, enragées que l’on n’cûl rien trouvé, mit prétendu qu’on avail mal chen hé ’ dit qu’en huit minutes elles allaient trouver la cachette : elles voulaient que Ion rentrai -, on s’y esl opposé : le commissaire a fail brusquement refermer la porte. Vinsi onl fini mes douleurs ; mais la sueur, la lassitude et la faiblesse me brisaient. l’endani quejc réfléchissais a toutes les incroyables fortuites qui s’étaient simultanément rassi m blécs pour composer celle mille et deuxièmt nuil du roman de Scheherazade, et dans laquelle je venais d’être témoin, acteur el spectateur glacé, je me disais ; ■ Je l’écrirai, vingl personnes l’attes- ■■ lei’oiit. piTMinne ne voudra nie croire, el toul le ■• n le aura raison. » Ton- les traits majeurs de ma vie ont eu un coin de singularité, mais celui-ci les couvre tous. Ici l’horrible vérité n’offre qu’un soupe invraisemblable : -i quelque chose j fail ajouter foi, c’est bien l’impossibilité de croire que quelqu’un ait imaginé un roman aussi improbable.

Mais j’ai appris le lendemain matin que des hommes âgés, affectionnés à ce quartier, que jamais rien n’avait troublé, entendant ce tapage affreux, saisis d’une terreur nocturne, ont sauté par-dessus les murs, et que, de jardin en jardin, ils ont été troubler des dames de la rue de la Perle, en leur demandant, en chemise, de les garantir de la mort : l’un d’eux s’était cassé la jambe.

L’effroi s’était communiqué, et, de tout ce quartier, ton père, qui avait eu le plus sujet de craindre, peut-être a été le seul qui ait achevé dans son lit une nuit aussi tourmentée.

Voilà, mon Eugénie, les détails que je t’ai promis dans ma dernière lettre à ta mère. Un homme moins fort, moins exercé que moi sur tous les genres d’infortune, serait mort vingt fois de frayeur. Mon sang-froid, ma prudence, et souvent le hasard, m’ont sauvé de bien des dangers : ici le hasard a tout fait. Mais combien de fois ai-je dit, en m’endormant sur le matin : « Oh ! que j’embrasserai mon enfant avec joie, si des événements plus terribles et plus désastreux ne la privent pas de son père, et me permettent de la revoir ! »

LETTRE XLV.

À MA FAMILLE.

Londres, 6 décembre 1792.

Ma pauvre femme, et toi, ma charmante fille, je ne sais où vous êtes, ni où vous écrire, ni même par qui vous donner de mes nouvelles, lorsque j’apprends, par les gazettes, que le scellé est mis une troisième fois depuis quatre mois sur ma maison de Paris, et que je suis décrété d’accusation pour cette misérable affaire des fusils de Hollande, à laquelle on a joint une abomination d’un genre plus sérieux, pour aller plus vite avec moi. Je charge donc tous les honnêtes gens qui lisent les gazettes étrangères d’avoir l’humanité de vous