Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/864

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long couteau, qu’il a retiré avec effort, ce qui m’a coupé jusqu’à l’os toute la paume de la main gauche, dans la partie charnue du pouce : mais l’effort qu’il fait en retirant son bras, joint à celui que je faisais moi-même en avant sur lui, l’a renversé à son tour. Un grand coup du talon de ma botte, appuyé sur son poignet, lui fait lâcher le poignard, que j’ai ramassé, en lui sautant à deux genoux sur l’estomac. Le second bandit, plus lâche encore que le premier, me voyant prêt à tuer son camarade, au lieu de le secourir, a sauté sur le cheval, qui paissait à dix pas, et s’est enfui à toutes jambes. Le misérable que je tenais sous moi, et que j’aveuglais par le sang qui me ruisselait du visage, se voyant abandonné, a fait un effort qui l’a retourné à l’instant que j’allais le frapper ; et se relevant à deux genoux, les mains jointes, il m’a crié lamentablement : Mon sier, mon ômi ! et beaucoup de mots allemands par lesquels j’ai compris qu’il me demandait la vie. Infâme scélérat ! ai-je dit ; et mon premier mouvement se prolongeant, j’allais le tuer. Un second opposé, mais très rapide, m’a fait penser qu’égorger un homme à genoux, les mains jointes, était une espèce d’assassinat, une lâcheté indigne d’un homme d’honneur. Cependant, pour qu’il s’en souvînt bien, je voulais au moins le blesser grièvement : il s’est prosterné en criant : Mein Gott ! mon Dieu !

Tâchez de suivre mon âme à travers tous ces mouvements aussi prompts qu’opposés, mon ami, — et vous parviendrez peut-être à concevoir comment, du plus grand danger dont j’aie eu jamais à me garantir, je suis en un clin d’œil devenu assez osé pour espérer lier les mains derrière le dos à cet homme, et l’amener ainsi garrotté jusqu’à ma chaise. Tout cela ne fut qu’un éclair. Ma résolution arrêtée, d’un seul coup je coupai promptement sa forte ceinture de chamois, par derrière, avec son couteau que je tenais de ma main droite, acte que sa prosternation rendait très-facile : mais comme j’y mettais autant de violence que de vitesse, je l’ai fort blessé aux reins, ce qui lui a fait jeter un grand cri en se relevant sur ses genoux et joignant de nouveau les m. un-. Malgn la douleur excessive n dais au visage, et surtout à la main gauche, je suis convaincu que je l’aurais entraîné, car il n’a fait aucune résistance, lorsque, ayant tiré mon mouchoir, et jeté à trente pas le couteau qui me gênait, parce que j’avais mon second pistolet dan— la main gauche, je me disposais à l’atlai h i. Mais cel espoir n’a pas été long. J’ai u 1 e 1 nir de loin l’autre bandit, accompagné de quelques scélérats de son espèci. Il a fallu de nouveau m’occuper de ma sûreté. J’avoue qu’alors j’ai senti la faute que j’avais faite de jeter le couteau. J’aurais tué l’hon • sans scrupule en ce moment, ’■i c’était un ennemi de moins. Mais ne voulant pas vider mon second pistolet, le seul porte-respect qui me restai contre ceux qui venaient à moi, car ma canne était tout au

la fureur qui m’a saisi de nouveau, j’ai violemment frappé la bouche de cet homme agenouillé ’lu bout de mon pistolet, ce qui lu mâchoire el 1 assé quelques dents de devant, qui I onl l’ail saigner c un bœul ; il

et esl tombé. Dans ce moment, le postillon, inquiet de mon retard, et me croyant égaré, étail entré dans le bois pour me chercher. Il a sonné du petit cor que les postillons allemands portent tous eu bandoulière. Ce bruit el sa ni suspendu la course des scélérats, el m’onl donné le temps de me retirer, la canne élevée et mon pistolet en avant, sans avoir été volé. Quand ils m’ont senti sur le chemin, ils se sont dispersés, el mon laquais a vu, ainsi que le postillon, passer auprès d’eux el de ma chaise, en traversant la route avec vitesse, le coquin a la veste bleue sans manches, ayant son habit sur son bras, qui m’avait renversé. Peut-être espérait-il fouiller ma voiture, après avoir manqué nies poches.

Mon premier soin, quand je me suis vu en sûreté el à portée de ma chaise, a été d’uriner bien vite. Une expérience bien des fois réitérée m’a appris qu’après une grande émotion, l’est un des plus sûrs calmants qu’on puisse employer. J’ai imbibé mon mouchoir d’urine, et j’en ai lavé mes plaies. Celle de la haute, poitrine s’est trouvée n’être qu’une éraflure.

Celle du menton, très-profonde, se fût certainement prolongée jusque dans la cervelle, si lecoup eût porto droit, et si la position renversée où j’étais en le recevant n’eût fail glisser le couteau sui 1 os de la mâchoire inférieure. La blessure de ma main gauche, pins douloureuse encore à cause du mouvement habituel de relie partie, s’enfonce dan— le gras intérieur du pouce, el va jusqu’à l’os. Mon laquais, effrayé, me demandait pourquoi je n’avais pas appelé ; mais, indépendamment que ma chaise, qui avait toujours marché, se trouvait beaucoup trop loin pour m’en l’aire entendre en criant, c’était ce que je n’avais eu garde de faire, sachant bien que rien ne détruil la force comme de la consumer en de vaines exclamations. Le silence el le recueillement sont les sauvegardes du courage, qui à son tour esl la sauvegarde de la ie en ces grandi -ions. Imbécile ! lui ai-je dit, fallait-il aller aussi loin, 1 1 me laisst 1 assassiner ?

Je me suis fait promptemenl conduireà Nuremberg, où l’on m’a appris que quelques jours avanl les mêmes voleurs, en ce même endroit, arrêté le chariot de poste, el avaienl détroussé de 1-0, 000 florins divers voyageurs.

J’ai donné le signalement des hommes, du cheval, el l’on a mis sur-le-champ de nouveaux soldats en campagne pour les an rêter,

De l’eau el de l’eau de ie onl été mon pansement. Mais d plus grand mal esl une d 1 ur