Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/869

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sur le premier voleur, mon cœur s'est comme roulé sur lui-même pour se faire petit ; il a senti d’avance le coup qu’il allait recevoir. Je crois que ce mouvement peut être justement appelé frayeur, mais c’i .-t le seul que j’aie éprouvé ; car lorsque j’ai été . frappé, manqué, el ’i 11 " je me suis vu vivant, alors il m’a monté au cœur un feu, une force, une audace supérieure. Sur mou Dieu ! je u vainqueur, el tout ce que j’ai fait delà en avant n’a plus été que l’effet d’une exaltation rurieuse qui m’a tellement masqué le dan i tait absolument nul pour moi. A peine ai je senti couper ma main : mais j’étais féroce, el plus avide du sang de mon adversaire qu’il ne Pavai mon argent. Celait un délice pour moi de si ntir que j’allais le tuer, el la Cuite de sou can pu seule lui sauver la vie : mais la diminution du péril m’a sur-le-champ rendu à moi-même ; et j’ai senti toute l’horreur de l’action que j’allais commettre. , sitôt qu je la pouvais commettre impunément. Mais lorsque je réfléchis qu m n second mouvemenl a été de le blesser seulement, je juge que je n’étais pas encore de sang-froid ; car cette seconde idée me semble mille fois plus or [ue la première. Mon ami, l’inspiration à jamais glorieuse a mes yeux est la noble audace avec laquellej’ai pu changer le lâche projel de tu< r un homme sans défense eu celui d’en faire mon prisonnier. Si j’en suis un peu vain dans ce moment-ci, je l’étais mille lois davantage dans ce moment-là. C’est dans la première joie de me trouver si supérieur au ressentiment personnel, que j’ai jeté au loin le rouleau ; car j’ai infiniment regretté d’avoir blessé cel homme aux reins en coupant sa ceinture, quoique je ne l’eusse fait que par maladn sse. Il entrait aussi dans tout cela je ne sais quel orgueil de l’honneur qu’allait me faire l’arrivée d’un homme outrageusement blessé, et livrant à la vindicte publique un de ses agresseurs garrotté. Ce n’est pas là ce qu’il y a de plus vraiment noble dans mon affaire ; mais il faut être de bon compte, je ne valais pas mieux que cela alors. Et je crois bien que c’est ta rage de voir ce Lriomphe insensé m’échapper, qui m’a fait brutalemenl casser la mâchoire à ee malheureux lorsque ses camarades sont accourus pour me l’arracher ; car il n’y a pas le sens commun à cette action : ce u’e^t là qu’un jeu de la plus misérable vanité.

Tout le reste a été froid et physique. Voilà, mon ami, mon aveu entier, el le plus franc que je puisse faire. Je me confesse à vous, mon cher Gudin : donnez-moi l’absolution. Si toul i nait mal, vous savez, mou ami, combien vous avez de gens à consoler : d’abord vous, car vous perdriez un homme qui vous aime bien ; ensuite les femmes : pour les hommes, mon père excepté, ils ont en général beaucoup de force contre ces sortes de pertes. Mais si je rattrape ma santé, écoutez donc, mou ami, je ne vous dis pas alors de brûler cette lettre, je vous ordonne de me la remettre. On ne laisse pas traîner son examen de con el vous sentez bien que >i je me mets sur le ton de vomir, comme je l’ai fait ce matii qui me suffoque, faute de se digérer dans mon estomac, cet horrible alimenl une lois expulsé je suis sur mes pieds. Adieu ; je suis las d’écrire, el même de penser. Je vais me mettre à végéti r, -i je puis ; cela vaut mieux pour des blessures que d’écrire, quelque vaguemenl qu’on laisse aller sa plume. Sache/ ci pem ami, que je u’ai . nlre affaire q m n tablir.

.1 ai i xminé à ma satisfaction tous les objets de mon voyage. Il n’y a pas à me rép Ire, car j’arrêterai maintenant le moins que je pourrai. vous embra er joyeusement encore une fois.

Allez voir, je vous prie, mon pauvre petil favori, car toul ceci est bien forl pour des têtes de femmes.

Allez voir aussi Julie, je vous en remercierai en arrivant. El ma petite Doligny, allez la voir aussi. Elle m’a montré un si tendre intérêt au tempsdema grande détresse. La pauvre marquise, ci la va sans dire.

Le 1 -. au soir.

Mon bon ami, tant qu’on ne trouve point de poste, ■ i qu’il reste du papier, la lettre n’esl point finie. J’ai dormi el rêvé qu’on m’assassinait : je me suis l’éveillé dans une crise mortelle. Mais que c’est une chose agréable que de vomir de gros et longs caillots de sang dans le Danube ! Comme la sueur chaude qui mouillait mon visage glacé est i .i ; respire librement ! 1 o

suyer mes yeux, donl l’effort a exprimé quelques larmes, comme ma vision est nette ! Les montagnes les plus hérissées sonl couvertes de vigm - des deux côtés du fleuve. Tout ce que je vois esl mi tour de force en culture. La pente est si roide, qu’il a fallu tailler les montagnes eu escalier, et flanquer chaque gradin d’un petit mur. pour empêcher l’éboulement des terres : c’est le travail de [’nom [ui boira le vin. Mais la vigne, qui ne boira rien, si vous voyiez comme elle suce de toute sa force le suc pierreux et vitriolique des rochers presque nus sur lesquels elle s’accroche ! vous diriez comme moi : chacun fait de son mieux ici. Dans ce lieu même, le fleuve esl si -erré’ qu’il bouilloi ; el le Qol me rappelle en petit noir- . de Boulogne à Calais, où nous fûmes si malades. Je l’étais pourtant moin- qu’aujourd’hui, quoique je souffrisse davantage. Mais j’ai bonne e p ements nient le sac, et la succession d’une souffrance amie el .1 un sou parfait n’e-i point le pire étal que doive craindre un ressuscité ; il esl même raisonnable de faire aller le bien pour le mal : d’ailleurs, je cours au-devant du soulagement. Encore 25 lieues d’Allemagne, c’est-à-dire 37 lieues de fiance, et je serai dans