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LES DEUX AMIS, ACTE I, SCÈNE I.

PAULINE.

Il s’est retiré bien tard cette nuit !

MÉLAC FILS.

Ils ont longtemps jasé. Mon père se plaignait à lui des fermiers généraux, qui me refusent la survivance de sa place de receveur général des fermes.

PAULINE.

Bien malhonnêtement, sans doute ?

MÉLAC FILS.

Sous prétexte qu’ils l’ont donnée. « Voilà comme vous êtes, lui disait votre oncle. Ne demandant jamais, un autre sollicite ; il obtient le prix de vos longs services. » Mais savez-vous ce que j’ai pensé, Pauline ? c’est que si quelqu’un dans la compagnie nous a desservis, ce ne peut être que Saint-Alban.

PAULINE.

Que vous êtes injuste ! J’ai vu tout ce qu’il a écrit en votre faveur.

MÉLAC FILS.

On fait voir ce qu’on veut.

PAULINE.

Vous vous plaisez bien à l’accuser.

MÉLAC FILS.

Pas tant que vous à le défendre.

PAULINE, fâchée.

Vous m’impatientez. Depuis son départ, il faut donc se résoudre à voir toutes nos conversations rentrer dans celle-ci ?

MÉLAC FILS, d’un air fin.

Allons, la paix. — Ils ont ensuite parlé de votre établissement… du mien… Mon père m’a fait signe, je me suis retiré ; mais, en sortant, j’ai entendu qu’il disait un mot… Ah ! Pauline…

(Il veut lui prendre la main.)
PAULINE se recule.

Eh bien ! monsieur.

MÉLAC FILS.

Un certain mot…

PAULINE l’interrompt.

Je ne suis pas curieuse. — Parlons de la petite fête que nous préparons à mon oncle, à l’occasion de ses lettres de noblesse : y songez-vous ?

MÉLAC FILS.

J’ai tout arrangé dans ma tête. Nous commencerons par un concert ; peu de monde, nous et nos maîtres. Sur la fin, on viendra l’avertir qu’on le demande. Pendant son absence, un tapis, deux paravents feront l’affaire, et nous lui donnerons la plus jolie petite pièce…

PAULINE.

Oh ! point de comédie.

MÉLAC FILS.

Pourquoi ?

PAULINE.

Vous connaissez la faiblesse de ma poitrine.

MÉLAC FILS.

On ne crie pas la comédie, ce n’est qu’en parlant qu’on la joue bien. Figure charmante, organe flexible et touchant ! de l’âme surtout… que vous manque-t-il ? une jeune actrice se fait toujours assez entendre, lorsqu’elle a le talent de se faire écouter.

PAULINE.

Oh ! ce n’est ni d’éloquence ni d’adresse qu’on vous accusera de manquer, pour ramener les gens à vos idées… Et les couplets que je vous ai demandés ?

MÉLAC FILS, tendrement.

Vous craignez qu’on ne les oublie, injuste Pauline !…

PAULINE, l’interrompant en s’asseyant.

Essayons encore une pièce avant de m’habiller.

MÉLAC FILS, s’assurant de l’accord du violon.

Volontiers.

PAULINE.

Donnez-moi le nouveau livre.

MÉLAC FILS, avec humeur.

Pourquoi ne pas suivre le même ?

PAULINE.

Pour sortir un peu de l’ancien genre. Au reste, comme c’était uniquement pour vous…

MÉLAC FILS, d’un air incrédule.

Oui ! pour moi !

PAULINE, riant.

Voilà bien les ingrats ! cherchant toujours à diminuer l’obligation, pour n’être point tenus de la reconnaissance ! Cette musique n’est-elle pas plus piquante, plus variée ?

MÉLAC FILS, mécontent.

Piquante, variée, délicieuse ! C’est le beau Saint-Alban qui vous l’a choisie à Paris.

PAULINE.

Et toujours Saint-Alban ! Vous êtes bien étrange ! Votre souverain bonheur serait que personne ne m’aimât !

MÉLAC FILS.

Je ne serai donc jamais heureux.

PAULINE.

Vous voudriez… qu’on ne pût me souffrir.

MÉLAC FILS.

Je ne désire point l’impossible.

PAULINE, gaiement.

Hé ! il ne faudrait pas trop vous presser pour vous le faire avouer ingénument.

MÉLAC FILS.

Non ; mais il est assez simple que je n’aime point un homme qui affiche des sentiments pour vous.

PAULINE.

Pour le venger de cette humeur, vous accompagnerez sa favorite.

MÉLAC FILS.

Oh ! non.

(Il pose le violon sur une chaise.)
PAULINE.

Vous me refusez ?