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LES DEUX AMIS, ACTE I, SCÈNE IX.


MÉLAC PÈRE.

Pourquoi le renfermer, s’il n’est que raisonnable ? Riez avec elle, dans la société, devant moi, devant son oncle, très-bien ; mais c’est lorsque vous la trouvez seule, mon fils, qu’il faut la respecter. La première punition de celui qui manque à la décence est d’en perdre bientôt le goût ; une faute en amène une autre, elles s’accumulent ; le cœur se déprave ; on ne sent plus le frein de l’honnêteté que pour s’armer contre lui : on commence par être faible, on finit par être vicieux.

MÉLAC FILS, déconcerté.

Mon père, ai-je donc mérité une aussi sévère réprimande ?

MÉLAC PÈRE, d’un ton plus doux.

Des avis ne sont point des reproches. Allez, mon fils ; mais n’oubliez jamais que la nièce de votre ami, du bienfaiteur de votre père, doit être sacrée pour vous. Souvenez-vous qu’elle n’a point de mère qui veille à sa sûreté. Songez que mon honneur et le vôtre doivent être ici les appuis de son innocence et de sa réputation. Allez vous habiller.



Scène VI


MÉLAC père, seul.

S’il s’était douté que je l’eusse vu, il eût mis à se disculper toute l’attention qu’il a donnée à ma morale. On ne se ment pas à soi-même ; et s’il a tort, il se fera bien sans moi l’application de la leçon. Ceci me rappelle avec quel soin Aurelly détournait la conversation hier au soir, quand je la mis sur l’établissement de sa nièce. Sa nièce !… Mais est-il bien vrai qu’elle le soit ?… Son embarras en m’en parlant semblait tenir… de la confusion… Je me perds dans mes soupçons… Quoi qu’il en soit, je ne veux pas que mon ami puisse jamais me reprocher d’avoir fermé les yeux sur leur conduite.



Scène VII


MÉLAC père ; ANDRÉ en papillotes et en veste du matin, un balai de plumes sous son bras, entre, regarde de côté et d’autre, et s’en retourne.
ANDRÉ.

Il n’y est pas, monsieur Dabins.

MÉLAC PÈRE.

Qu’est-ce ?

ANDRÉ.

Ah ! ce n’est rien. C’est ce gros monsieur…

MÉLAC PÈRE.

Quel monsieur ?

ANDRÉ, d’un ton niais.

Celui qui vient… qui m’a tant fait rire le jour de cette histoire…

MÉLAC PÈRE.

Est-ce qu’il n’a pas de nom ?

ANDRÉ.

Si fait, il a un nom. Monsieur… monsieur… C’est qu’il s’appelle encore autrement.

MÉLAC PÈRE.

Autrement que quoi ?

ANDRÉ.

Je l’ai bien entendu peut-être… Paris, deux et demi ; Marseille, Canada, trente-huit ; que sais-je ?

MÉLAC PÈRE, riant de pitié.

Ah ! l’agent de change ?

ANDRÉ.

C’est ça.

MÉLAC PÈRE.

Mais ce n’est pas moi qu’il cherche ?

ANDRÉ.

C’est M. Dabins.

MÉLAC PÈRE.

Qu’il passe à la caisse d’Aurelly.

ANDRÉ.

Il en vient ; ce caissier n’est-il pas déjà sorti ?

MÉLAC PÈRE.

Un jour comme celui-ci ! Il est donc fou.

ANDRÉ.

Je ne sais pas.

MÉLAC PÈRE.

Voyez à sa chambre, au jardin, partout.

ANDRÉ va et revient.

Moi, j’ai mon ouvrage… et si je ne le trouve pas, qu’est-ce qu’il faut que je lui dise ?

MÉLAC PÈRE.

Rien. Car on ne finirait plus…



Scène VIII


MÉLAC père, seul.

Qui croirait qu’un garçon aussi simple fût le fait d’un homme bouillant, d’Aurelly ? Sa règle est assez juste. Aux gens de cet état, moins d’esprit, moins de corruption.



Scène IX


DABINS, MÉLAC père.
MÉLAC PÈRE.

On vous cherche, monsieur Dabins.

DABINS, d’un air effrayé.

Depuis une heure, monsieur, j’épie le moment de vous trouver seul.

MÉLAC PÈRE.

Que me voulez-vous ?

DABINS.

Puis-je parler en liberté ?

MÉLAC PÈRE.

Vous êtes pâle, défait ; votre voix est tremblante !

DABINS.

Ah ! monsieur !

MÉLAC PÈRE.

Expliquez-vous.