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LES DEUX AMIS, ACTE II, SCÈNE X.

pas encore… Un mensonge ?… Il vaudrait mieux cent fois… Mais je m’alarme, et peut-être il ne fait que passer.



Scène IX


AURELLY, SAINT-ALBAN, MÉLAC père, MELAC fils.
SAINT-ALBAN.

Pardonnez à mon empressement, messieurs, l’incivilité de me montrer en habit de voyage.

MÉLAC FILS, à part, avec humeur.

Son empressement ! il n’en dit pas l’objet.

MÉLAC PÈRE, à Saint-Alban.

Vous voyez que j’y suis moi-même.

SAINT-ALBAN.

Partez-vous ?

MÉLAC PÈRE.

Avec bien du regret, monsieur, puisque vous arrivez.

AURELLY.

Cette course est brusque.

MÉLAC PÈRE.

Elle est nécessaire.

AURELLY.

Si c’est, comme le dit ton fils, des affaires de compagnie…

MÉLAC PÈRE, embarrassé.

De compagnie… relatives à la compagnie… Puis-je voir, sans déplaisir, passer ma survivance à quelque étranger ?

AURELLY, riant.

Ah, ah, ah, ah.

SAINT-ALBAN.

Il m’est bien agréable d’arriver à temps pour vous arrêter.

AURELLY.

Est-ce que je l’aurais laissé partir ? (À Mélac père.) Tu peux renvoyer les chevaux de poste.

MÉLAC PÈRE.

Pour quelle raison ?

SAINT-ALBAN.

C’est que la place que vous allez solliciter est accordée à monsieur votre fils.

MÉLAC FILS, avec surprise.

L’emploi de mon père ?

AURELLY le contrefait plaisamment.

Eh oui ! l’emploi de mon père.

MÉLAC FILS, à part.

Ah ! Pauline !

SAINT-ALBAN remet un papier à Mélac père.

En voici l’assurance. Quelque désir que j’aie eu de vous servir en cette affaire, je ne puis vous cacher que vous en devez toute la faveur aux sollicitations de monsieur Aurelly.

MÉLAC PÈRE.

Monsieur, son généreux caractère ne se dément point. Mais un autre avait, dit-on, obtenu cette grâce.

AURELLY, gaiement.

C’était moi.

MÉLAC PÈRE.

Ce solliciteur dont le crédit…

AURELLY.

C’était moi.

MÉLAC FILS.

Cet homme qui avait pris les devants…

AURELLY.

C’était moi. Je m’en occupais depuis longtemps : ne m’a-t-il pas élevé une nièce charmante ?

MÉLAC FILS, vivement.

Oui, charmante.

SAINT-ALBAN.

Ah ! charmante, en effet.

(Mélac fils rougit de son transport. Saint-Alban le fixe avec curiosité.)

AURELLY, prenant les mains de Mélac père.

Ne m’a-t-il pas promis d’étendre ses soins jusqu’à mon fils, lorsqu’il sera en âge d’en profiter ? Il faut bien que j’établisse le sien, ah, ah, ah, ah…

MÉLAC PÈRE

À quel ami je rends service !

MÉLAC FILS, vivement, à Aurelly.

C’était donc cela qu’hier au soir… vous feigniez… Quelle surprise ! ah ! monsieur !… (À part.) Je ne me sens pas de joie ; courons annoncer cette nouvelle à Pauline.

(Il sort en courant.)



Scène X


AURELLY, SAINT-ALBAN, MÉLAC père.
MÉLAC PÈRE.

Eh bien !… l’étourdi, qui oublie de vous faire ses remerciments !

AURELLY.

Tu renvoies les chevaux ?

MÉLAC PÈRE.

Mon voyage est indispensable.

AURELLY.

Encore ?

SAINT-ALBAN, à Aurelly.

Si c’est pour ce que je présume, je suppléerai à sa course. Mais, avant que d’en parler, recevez mon compliment, monsieur, sur la distinction flatteuse que vous venez d’obtenir. Le plus digne usage des lettres de noblesse est, sans doute, de décorer des citoyens aussi utiles que vous.

AURELLY.

Utiles. Voilà le mot. Qu’un homme soit philosophe, qu’il soit savant, qu’il soit sobre, économe, ou brave : eh bien !… tant mieux pour lui. Mais qu’est-ce que je gagne à cela, moi ? L’utilité dont nos vertus et nos talents sont pour les autres est la balance où je pèse leur mérite.

SAINT-ALBAN.

C’est à peu près sur ce pied que chacun les estime.