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LES DEUX AMIS, ACTE II, SCÈNE XII.

SAINT-ALBAN.

C’est bien dit.

AURELLY.

S’ils font les difficiles, ils ont un fort ballot à moi ; votre argent prendra sa place : il est plus pressé que mon envoi.

SAINT-ALBAN.

Rien de plus obligeant.

AURELLY.

Allons, allons, débarrassez-vous la tête.

MÉLAC PÈRE, outré, à Aurelly.

Et vous… n’embarrassez pas la vôtre, mon officieux ami.

AURELLY.

Comment donc !

MÉLAC PÈRE, déconcerté, à Saint-Alban.

Monsieur, vous me prenez dans un moment… au dépourvu…

SAINT-ALBAN.

Que dites-vous, monsieur ?

MÉLAC PÈRE.

Je dis… (À part.) Ah ! je sens la rougeur qui me surmonte… Il faut l’avouer ; ce que vous me demandez est impossible.

SAINT-ALBAN.

Impossible ! Et vous partiez ?

MÉLAC PÈRE.

Il est vrai.

SAINT-ALBAN.

Savez-vous, monsieur, quels soupçons l’on pourrait prendre…

AURELLY, vivement.

Fi donc, monsieur de Saint-Alban !

SAINT-ALBAN, à Aurelly.

Je vous demande pardon ; mais l’air, le ton, les discours, me paraissent si clairs… Ce voyage…

AURELLY.

N’y a-t-il pas mille raisons…

SAINT-ALBAN.

Un instant, je vous prie. — Avez-vous touché le montant de toutes les recettes, monsieur de Mélac ?

MÉLAC PÈRE, accablé.

Je ne puis le nier.

SAINT-ALBAN.

Pouvez-vous faire partir aujourd’hui tout l’argent que vous devez avoir ? (Mélac père ne répond rien.) Parlez, monsieur ; car mes ordres sont tels, que, sur votre réponse, il faut que je prenne un parti sur-le-champ.

(Mélac père rêve, sa tête appuyée sur sa main.)
AURELLY, vivement.

Vous ne répondez pas ?

MÉLAC PÈRE, outré, à Aurelly.

Cruel homme ! (À Saint-Alban, d’un air accablé.) Je ne le puis avant trois semaines au moins.

SAINT-ALBAN.

Trois semaines ! Il ne m’est pas permis d’accorder trois jours. L’argent est annoncé. — C’est avec regret, monsieur…

MÉLAC PÈRE.

Je ne saurais l’empêcher : mais jamais tant de douleurs à la fois n’ont assailli un honnête homme.

(Il sort.)
AURELLY, criant.

Vous sortez !



Scène XI


AURELLY, SAINT-ALBAN.
SAINT-ALBAN.

Y concevez-vous quelque chose ?

AURELLY.

Je crois que la tête lui a tourné.

SAINT-ALBAN.

Vous sentez que je ne peux me dispenser…

AURELLY.

Ne prenez point encore de parti.

SAINT-ALBAN.

Monsieur… quoi que vous puissiez dire…

AURELLY.

Ayez confiance en moi. Mélac n’est pas capable d’une action vile ni malhonnête.

SAINT-ALBAN.

Songez donc qu’il partait. Je répondrais de l’événement à ma compagnie.

AURELLY, vivement.

Monsieur… vous allez perdre un honnête homme : son fils, son état, son honneur, tout est abîmé, ruiné.

SAINT-ALBAN.

J’en suis au désespoir ; mais, n’étant que chargé d’ordres, il ne m’est pas permis de faire des grâces.

AURELLY.

N’a-t-il pas ses cautions ? que voulez-vous de plus ? Je me fais garant de tout. Donnez-moi le temps d’éclaircir…

SAINT-ALBAN.

Un mot, à mon tour. Je ne dois pas prendre le change. Il ne s’agit plus de caution ici. C’est cinq cent mille francs qu’il faut, que j’ai annoncés, que la compagnie attend : avancerez-vous cette somme aujourd’hui ?

AURELLY.

À la veille du payement ? Tout le crédit du plus riche banquier ne lui ferait pas trouver un sac dans Lyon.



Scène XII


AURELLY, PAULINE, SAINT-ALBAN.
PAULINE, inquiète.

Qu’a donc monsieur de Mélac, mon oncle ? il sort d’avec vous dans un état affreux. J’ai voulu lui parler, il s’est enfermé brusquement sans me répondre.