Ô ciel ! je ne l’aime pas !
Monsieur !… qui vous savait si près ?
Je ne l’aime pas, dites-vous ?
Je n’ai jamais déguisé ma pensée.
Vous m’imputez à crime un sacrifice que vous avez rendu nécessaire ?
Le sort de ceux qui écoutent est d’entendre rarement leur éloge.
M’accuser de ne pas l’aimer !
J’en suis fâché, je l’ai dit.
L’avez-vous cru, Pauline ?
Vous nous perdez.
N’attendons rien d’un homme aussi injuste.
Monsieur, trop de chaleur rend quelquefois imprudent.
Et trop de prudence, monsieur…
Je vous défends d’ajouter un mot.
M’accuser de ne pas vous aimer, quand on me réduit à l’extrémité de renoncer à vous, ou d’en être à jamais indigne !
Vous oubliez votre père !
Si je l’oubliais, Pauline…
Le désespoir l’aveugle.
Un mot va nous accorder. Vous avez, dit-on, promis de ne rien écrire contre mon père ?
Vous m’interrogez ?
L’avez-vous promis ?
Il s’y est engagé.
Pour aucune autre considération que la vôtre, mademoiselle.
Ah !… c’est aussi ce qui m’empêche de vous disputer sa main. Elle est à vous… Mais soyez galant homme. (Il s’approche de lui.) Osez tenir parole à mon père, et vous verrez.
Osez !…
Monsieur de Saint-Alban !
Oui, monsieur, j’oserai tenir parole à votre père.
Ah ! grands dieux !
Et toute nouvelle qu’est cette façon d’intercéder, elle ne nuira pas à M. de Mélac.
Il va tomber à vos genoux. Il ne sait pas… (À Mélac.) Cruel ennemi de vous-même ! apprenez qu’il s’engage au silence, que lui seul peut vous conserver l’emploi…
Je le refuse.
Insensé !
Quel bienfait, Pauline ! J’en dépouillerais mon père ! je le payerais de votre perte, et j’en serais redevable à mon ennemi !
Monsieur…
Quel est donc le but de ces fureurs ?
S’il ménage mon père, il vous épouse, il est trop récompensé : mais attaquer mes sentiments pour vous !…
Vos sentiments !… Quels droits osez-vous faire valoir ? Ne m’avez-vous pas rendu ma parole ?
L’honneur m’a-t-il permis de la garder ? Vous vous privez de tout pour sauver mon père…
Quoi ! ces cent mille écus qu’on dit empruntés…
Sont à elle ; c’est son bien, tout ce qu’elle possède au monde.
Sont à elle ! (À part.) Ah ! dieux ! que de vertus !
Ai-je donc trop exigé de vous deux, en me sacrifiant, que l’un n’insultât pas à l’infortuné qu’il opprime ! que l’autre honorât ma perte d’une larme, d’un regret ! Il vous épousait de même, et je mourais en silence.
Eh ! fallait-il venir ainsi… (Les pleurs lui coupent la parole ; elle se jette sur un siége, et dit à elle-même :) Malheureuse faiblesse !
Ne me dérobez pas vos larmes, Pauline ! c’est le seul bien qui me reste au monde.