Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/177

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Dans tous les coteaux,
Les cris des agneaux
Retentissent ;
Ils bondissent ;
Tout fermente,
Tout augmente ;
Les brebis paissent
Les fleurs qui naissent ;
Les chiens fidèles
Veillent sur elles ;
Mais Lindor, enflammé,
Ne songe guère
Qu’au bonheur d’être aimé
De sa bergère.

Même air :

Loin de sa mère,
Cette bergère
Va chantant
Où son amant l’attend.
Par cette ruse,
L’amour l’abuse ;
Mais chanter
Sauve-t-il du danger ?
Les doux chalumeaux,
Les chants des oiseaux,
Ses charmes naissants,
Ses quinze ou seize ans,
Tout l’excite,
Tout l’agite ;
La pauvrette
S’inquiète ;
De sa retraite,
Lindor la guette ;
Elle s’avance,
Lindor s’élance,
Il vient de l’embrasser :
Elle, bien aise,
Feint de se courroucer,
Pour qu’on l’apaise.

Petite reprise.

Les soupirs,
Les soins, les promesses,
Les vives tendresses,
Les plaisirs,
Le fin badinage,
Sont mis en usage ;
Et bientôt la bergère
Ne sent plus de colère.
Si quelque jaloux
Trouble un bien si doux,
Nos amants d’accord
Ont un soin extrême…
… De voiler leur transport ;
Mais quand on s’aime,
La gêne ajoute encor
Au plaisir même.

(En l’écoutant, Bartholo s’est assoupi. Le comte, pendant la petite reprise, se hasarde à prendre une main, qu’il couvre de baisers. L’émotion ralentit le chant de Rosine, l’affaiblit, et finit même par lui couper la voix au milieu de la cadence, au mot extrême. L’orchestre suit les mouvements de la chanteuse, affaiblit son jeu, et se tait avec elle. L’absence du bruit, qui avait endormi Bartholo, le réveille. Le comte se relève, Rosine et l’orchestre reprennent subitement la suite de l’air. Si la petite reprise se répète, le même jeu recommence.)

Le Comte.

En vérité, c’est un morceau charmant, et madame l’exécute avec une intelligence…

Rosine.

Vous me flattez, seigneur ; la gloire est tout entière au maître.

Bartholo, bâillant.

Moi, je crois que j’ai un peu dormi pendant le morceau charmant. J’ai mes malades. Je vas, je viens, je toupille ; et sitôt que je m’assieds, mes pauvres jambes !

(Il se lève et pousse le fauteuil.)
Rosine, bas, au comte.

Figaro ne vient pas !

Le Comte.

Filons le temps.

Bartholo.

Mais, bachelier, je l’ai déjà dit à ce vieux Basile : est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de lui faire étudier des choses plus gaies que toutes ces grandes aria, qui vont en haut, en bas, en roulant, hi, ho, a, a, a, a, et qui me semblent autant d’enterrements ? Là, de ces petits airs qu’on chantait dans ma jeunesse, et que chacun retenait facilement ? J’en savais autrefois… Par exemple…

(Pendant la ritournelle, il cherche en se grattant la tête, et chante en faisant claquer ses pouces, et dansant des genoux comme les vieillards.)

Veux-tu, ma Rosinette,
Faire emplette
Du roi des maris ?…

(Au comte, en riant.)

Il y a Fanchonnette dans la chanson ; mais j’y ai substitué Rosinette pour la lui rendre plus agréable et la faire cadrer aux circonstances. Ah ! ah ! ah ! ah ! Fort bien ! pas vrai ?

Le Comte, riant.

Ah ! ah ! ah ! Oui, tout au mieux.



Scène V

FIGARO, dans le fond ; ROSINE, BARTHOLO, LE COMTE.
Bartholo, chante.

Veux-tu, ma Rosinette,
Faire emplette
Du roi des maris ?
Je ne suis point Tircis ;
Mais la nuit, dans l’ombre,
Je vaux encor mon prix ;