Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

seigneur ; ne confondons point : voici le vôtre ; et c’est ici celui du seigneur Bartholo avec la signora… Rosine aussi. Les demoiselles apparemment sont deux sœurs qui portent le même nom.

Le Comte.

Signons toujours. Don Basile voudra bien nous servir de second témoin.

(Ils signent.)
Basile.

Mais, Votre Excellence… je ne comprends pas…

Le Comte.

Mon maître Basile, un rien vous embarrasse, et tout vous étonne.

Basile.

Monseigneur… Mais si le docteur…

Le Comte, lui jetant une bourse.

Vous faites l’enfant ! Signez donc vite.

Basile, étonné.

Ah ! ah !

Figaro.

Où est donc la difficulté de signer ?

Basile, pesant la bourse.

Il n’y en a plus ; mais c’est que moi, quand j’ai donné ma parole une fois, il faut des motifs d’un grand poids…

(Il signe.)



Scène VIII

BARTHOLO, un alcade, des alguazils, des valets avec des flambeaux, et les acteurs précédents.
Bartholo voit le comte baiser la main de Rosine, et Figaro qui embrasse grotesquement don Basile ; il crie, en prenant le notaire à la gorge.

Rosine avec ces fripons ! Arrêtez tout le monde. J’en tiens un au collet.

Le Notaire.

C’est votre notaire.

Basile.

C’est votre notaire. Vous moquez-vous ?

Bartholo.

Ah ! don Basile ! eh ! comment êtes-vous ici ?

Basile.

Mais plutôt vous, comment n’y êtes-vous pas ?

L’Alcade, montrant Figaro.

Un moment ! je connais celui-ci. Que viens-tu faire en cette maison, à des heures indues ?

Figaro.

Heure indue ? Monsieur voit bien qu’il est aussi près du matin que du soir. D’ailleurs, je suis de la compagnie de Son Excellence monseigneur le comte Almaviva.

Bartholo.

Almaviva !

L’Alcade.

Ce ne sont donc pas des voleurs ?

Bartholo.

Laissons cela. — Partout ailleurs, monsieur le comte, je suis le serviteur de Votre Excellence ; mais vous sentez que la supériorité du rang est ici sans force. Ayez, s’il vous plaît, la bonté de vous retirer.

Le Comte.

Oui, le rang doit être ici sans force ; mais ce qui en a beaucoup est la préférence que mademoiselle vient de m’accorder sur vous, en se donnant à moi volontairement.

Bartholo.

Que dit-il, Rosine ?

Rosine.

Il dit vrai. D’où naît votre étonnement ? Ne devais-je pas cette nuit même être vengée d’un trompeur ? Je le suis.

Basile.

Quand je vous disais que c’était le comte lui-même, docteur ?

Bartholo.

Que m’importe à moi ? Plaisant mariage ! Où sont les témoins ?

Le Notaire.

il n’y manque rien. Je suis assisté de ces deux messieurs.

Bartholo.

Comment, Basile ! vous avez signé ?

Basile.

Que voulez-vous ? ce diable d’homme a toujours ses poches pleines d’arguments irrésistibles.

Bartholo.

Je me moque de ses arguments. J’userai de mon autorité.

Le Comte.

Vous l’avez perdue en en abusant.

Bartholo.

La demoiselle est mineure.

Figaro.

Elle vient de s’émanciper.

Bartholo.

Qui te parle à toi, maître fripon ?

Le Comte.

Mademoiselle est noble et belle ; je suis homme de qualité, jeune et riche ; elle est ma femme : à ce titre, qui nous honore également, prétend-on me la disputer ?

Bartholo.

Jamais on ne l’ôtera de mes mains.

Le Comte.

Elle n’est plus en votre pouvoir. Je la mets sous l’autorité des lois ; et monsieur, que vous avez amené vous-même, la protégera contre la violence que vous voulez lui faire. Les vrais magistrats sont les soutiens de tous ceux qu’on opprime.

L’Alcade.

Certainement. Et cette inutile résistance au plus honorable mariage indique assez sa frayeur sur la mauvaise administration des biens de sa pupille, dont il faudra qu’il rende compte.