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Scène XVII

LA COMTESSE, LE COMTE, SUZANNE.
Suzanne sort en riant.

Je le tuerai, je le tuerai ! Tuez-le donc, ce méchant page.

Le Comte, à part.

Ah ! quelle école ! (Regardant la comtesse, qui est restée stupéfaite.) Et vous aussi, vous jouez l’étonnement ?… Mais peut-être elle n’y est pas seule.

(Il entre.)



Scène XVIII

LA COMTESSE, assise ; SUZANNE.
Suzanne accourt à sa maîtresse.

Remettez-vous, madame ; il est bien loin ; il a fait un saut…

La Comtesse.

Ah ! Suzon, je suis morte !



Scène XIX

LA COMTESSE, assise, SUZANNE, LE COMTE.
Le Comte sort du cabinet d’un air confus. Après un court silence :

Il n’y a personne, et pour le coup j’ai tort. — Madame… vous jouez fort bien la comédie.

Suzanne, gaiement.

Et moi, monseigneur ?

(La comtesse, son mouchoir sur la bouche pour se remettre, ne parle pas.)
Le Comte s’approche.

Quoi ! madame, vous plaisantiez ?

La Comtesse, se remettant un peu.

Eh pourquoi non, monsieur ?

Le Comte.

Quel affreux badinage ! et par quel motif, je vous prie ?

La Comtesse.

Vos folies méritent-elles de la pitié ?

Le Comte.

Nommer folies ce qui touche à l’honneur !

La Comtesse, assurant son ton par degrés.

Me suis-je unie à vous pour être éternellement dévouée à l’abandon et à la jalousie, que vous seul osez concilier ?

Le Comte.

Ah ! madame, c’est sans ménagement.

Suzanne.

Madame n’avait qu’à vous laisser appeler les gens !

Le Comte.

Tu as raison, et c’est à moi de m’humilier… Pardon, je suis d’une confusion !…

Suzanne.

Avouez, monseigneur, que vous la méritez un peu.

Le Comte.

Pourquoi donc ne sortais-tu pas lorsque je t’appelais, mauvaise !

Suzanne.

Je me rhabillais de mon mieux, à grand renfort d’épingles ; et madame, qui me le défendait, avait bien ses raisons pour le faire.

Le Comte.

Au lieu de rappeler mes torts, aide-moi plutôt à l’apaiser.

La Comtesse.

Non, monsieur ; un pareil outrage ne se couvre point. Je vais me retirer aux Ursulines, et je vois trop qu’il en est temps.

Le Comte.

Le pourriez-vous sans quelques regrets ?

Suzanne.

Je suis sûre, moi, que le jour du départ serait la veille des larmes.

La Comtesse.

Et quand cela serait, Suzon ? J’aime mieux le regretter que d’avoir la bassesse de lui pardonner ; il m’a trop offensée.

Le Comte.

Rosine !…

La Comtesse.

Je ne la suis plus, cette Rosine que vous avez tant poursuivie ! je suis la pauvre comtesse Almaviva, la triste femme délaissée, que vous n’aimez plus.

Suzanne.

Madame !

Le Comte, suppliant.

Par pitié !

La Comtesse.

Vous n’en aviez aucune pour moi.

Le Comte.

Mais aussi ce billet… Il m’a tourné le sang !

La Comtesse.

Je n’avais pas consenti qu’on l’écrivît.

Le Comte.

Vous le saviez ?

La Comtesse.

C’est cet étourdi de Figaro…

Le Comte.

Il en était ?

La Comtesse.

… Qui l’a remis à Basile.

Le Comte.

Qui m’a dit le tenir d’un paysan. Ô perfide chanteur, lame à deux tranchants ! c’est toi qui payeras pour tout le monde.

La Comtesse.

Vous demandez pour vous un pardon que vous refusez aux autres : voilà bien les hommes ! Ah ! si jamais je consentais à pardonner en faveur de l’erreur où vous a jeté ce billet, j’exigerais que l’amnistie fût générale.