Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/268

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moins la joie d’en orner le bras de ma fille, cent fois plus digne de le porter !… (Il y substitue l’autre.)

Bégearss feint de s’y opposer. Ils tirent chacun l’écrin de leur côté ; Bégearss fait ouvrir adroitement le double fond, et dit avec colère : Ah ! voilà la boîte brisée !

Le Comte regarde : Non ; ce n’est qu’un secret que le débat a fait ouvrir. Ce double fond renferme des papiers !

Bégearss, s’y opposant : Je me flatte, Monsieur, que vous n’abuserez point…

Le Comte, impatient : "Si quelque heureux hasard vous eût présenté certains faits, me disais-tu dans le moment, je vous excuserais de les approfondir"… Le hasard me les offre, et je vais suivre ton conseil. (Il arrache les papiers.)

Bégearss, avec chaleur : Pour l’espoir de ma vie entière, je ne voudrais pas devenir complice d’un tel attentat ! Remettez ces papiers, Monsieur, ou souffrez que je me retire. (Il s’éloigne. Le Comte tient des papiers et lit. Bégearss le regarde en dessous, et s’applaudit secrètement.)

Le Comte, avec fureur : Je n’en veux pas apprendre davantage ; renferme tous les autres, et moi, je garde celui-ci.

Bégearss : Non ; quel qu’il soit, vous avez trop d’honneur pour commettre une…

Le Comte, fièrement : Une… ! Achevez ! tranchez le mot, je puis l’entendre.

Bégearss, se courbant : Pardon, Monsieur, mon bienfaiteur ! et n’imputez qu’à ma douleur l’indécence de mon reproche.

Le Comte : Loin de t’en savoir mauvais gré, je t’en estime davantage. (Il se jette sur un fauteuil.) Ah ! perfide Rosine !… Car, malgré mes légèretés, elle est la seule pour qui j’aie éprouvé… J’ai subjugué les autres femmes ! Ah ! je sens à ma rage combien cette indigne passion… ! Je me déteste de l’aimer !

Bégearss : Au nom de Dieu, Monsieur, remettez ce fatal papier.

Scène IX : Figaro, Le Comte, Bégearss.

Le Comte, se lève : Homme importun ! que voulez-vous ?

Figaro : J’entre, parce qu’on a sonné.

Le Comte, en colère : J’ai sonné ? Valet curieux !…

Figaro : Interrogez le joaillier, qui l’a entendu comme moi ?

Le Comte : Mon joaillier ? que me veut-il ?

Figaro : Il dit qu’il a un rendez-vous, pour un bracelet qu’il a fait. (Bégearss, s’apercevant qu’il cherche à voir l’écrin qui est sur la table, fait ce qu’il peut pour le masquer.)

Le Comte : Ah !… qu’il revienne un autre jour.

Figaro, avec malice : Mais pendant que Monsieur a l’écrin de Madame ouvert, il serait peut-être à propos…

Le Comte, en colère : Monsieur l’inquisiteur ! partez ; et s’il vous échappe un seul mot…

Figaro : Un seul mot ? J’aurais trop à dire ; je ne veux rien faire à demi. (Il examine l’écrin, le papier que tient le Comte, lance un fier coup d’œil à Bégearss et sort.)

Scène X : Le Comte, Bégearss.

Le Comte : Refermons ce perfide écrin. J’ai la preuve que je cherchais. Je la tiens, j’en suis désolé ; pourquoi l’ai-je trouvée ? Ah Dieu ! lisez, lisez, Monsieur Bégearss.

Bégearss, repoussant le papier : Entrer dans de pareils secrets ! Dieu préserve qu’on m’en accuse !

Le Comte : Quelle est donc la sèche amitié qui repousse mes confidences ? Je vois qu’on n’est compatissant que pour les maux qu’on éprouve soi-même.

Bégearss : Quoi ! pour refuser ce papier !… (Vivement.) Serrez-le donc ; voici Suzanne. (Il referme vite le secret de l’écrin. Le Comte met la lettre dans sa veste, sur sa poitrine.)

Scène XI : Suzanne, Le Comte, Bégearss.

Le Comte est accablé.

Suzanne accourt : L’écrin, l’écrin : Madame sonne.

Bégearss le lui donne : Suzanne, vous voyez que tout y est en bon état.

Suzanne : Qu’a donc Monsieur ? il est troublé !

Bégearss : Ce n’est rien qu’un peu de colère contre votre indiscret mari, qui est entré malgré ses ordres.