Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/275

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Figaro, à part : Moi, je cours avertir son père. (Il sort.)

Scène XX : Léon, Bégearss.

Léon, lui barrant la porte : Il vous convient peut-être mieux de vous battre que de parler. Vous êtes le maître du choix ; mais je n’admettrai rien d’étranger à ces deux moyens.

Bégearss, froidement : Léon ! un homme d’honneur n’égorge pas le fils de son ami. Devais-je m’expliquer devant un malheureux valet, insolent d’être parvenu à presque gouverner son maître ?

Léon, s’asseyant : Au fait, Monsieur, je vous attends…

Bégearss : Oh ! que vous allez regretter une fureur déraisonnable !

Léon : C’est ce que nous verrons bientôt.

Bégearss, affectant une dignité froide : Léon ! vous aimez Florestine ; il y a longtemps que je le vois… Tant que votre frère a vécu, je n’ai pas cru devoir servir un amour malheureux qui ne vous conduisait à rien. Mais depuis qu’un funeste duel, disposant de sa vie, vous a mis en sa place, j’ai eu l’orgueil de croire mon influence capable de disposer Monsieur votre père à vous unir à celle que vous aimez. Je l’attaquais de toutes les manières ; une résistance invincible a repoussé tous mes efforts. Désolé de le voir rejeter un projet qui me paraissait fait pour le bonheur de tous… Pardon, mon jeune ami, je vais vous affliger ; mais il le faut en ce moment, pour vous sauver d’un malheur éternel. Rappelez bien votre raison, vous allez en avoir besoin. — J’ai forcé votre père à rompre le silence, à me confier son secret. "O mon ami ! m’a dit enfin le Comte, je connais l’amour de mon fils ; mais puis-je lui donner Florestine pour femme ? Celle que l’on croit ma pupille… elle est ma fille ; elle est sa soeur."

Léon, reculant vivement : Florestine ?… ma sœur ?…

Bégearss : Voilà le mot qu’un sévère devoir… Ah ! je vous le dois à tous deux : mon silence pouvait vous perdre. Eh bien ! Léon, voulez-vous vous battre avec moi ?

Léon : Mon généreux ami ! je ne suis qu’un ingrat, un monstre ! oubliez ma rage insensée…

Bégearss, bien tartuffe : Mais c’est à condition que ce fatal secret ne sortira jamais… Dévoiler la honte d’un père, ce serait un crime…

Léon, se jetant dans ses bras : Ah ! jamais.

Scène XXI : Le Comte, Figaro, Léon, Bégearss.

Figaro, accourant : Les voilà, les voilà.

Le Comte : Dans les bras l’un de l’autre ! Eh ! vous perdez l’esprit ?

Figaro, stupéfait : Ma foi ! Monsieur… on le perdrait à moins.

Le Comte, à Figaro : M’expliquerez-vous cette énigme ?

Léon, tremblant : Ah ! c’est à moi, mon père, à l’expliquer. Pardon ! je dois mourir de honte ! Sur un sujet assez frivole, je m’étais… beaucoup oublié. Son caractère généreux, non seulement me rend à la raison, mais il a la bonté d’excuser ma folie en me la pardonnant. Je lui en rendais grâce lorsque vous nous avez surpris.

Le Comte : Ce n’est pas la centième fois que vous lui devez de la reconnaissance. Au fait, nous lui en devons tous. (Figaro, sans parler, se donne un coup de poing au front. Bégearss l’examine et sourit.)

Le Comte, à son fils : Retirez-vous, Monsieur. Votre aveu seul enchaîne ma colère.

Bégearss : Ah ! Monsieur, tout est oublié.

Le Comte, à Léon : Allez vous repentir d’avoir manqué à mon ami, au vôtre, à l’homme le plus vertueux…

Léon, s’en allant : Je suis au désespoir !

Figaro, à part, avec colère : C’est une légion de diables enfermés dans un seul pourpoint.

Scène XXII : Le Comte, Bégearss, Figaro.

Le Comte, à Bégearss, à part : Mon ami, finissons ce que nous avons commencé. (A Figaro.) Vous, monsieur l’étourdi, avec vos belles conjectures, donnez-moi les trois millions d’or que vous m’avez vous-même apportés de Cadix, en soixante effets au porteur. Je vous avais chargé de les numéroter.

Figaro : Je l’ai fait.

Le Comte : Remettez-m’en le portefeuille.

Figaro : De quoi ? de ces trois millions d’or ?

Le Comte : Sans doute. Eh bien ! qui vous arrête ?