Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/282

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Bégearss : De la rancune pour si peu ? vous êtes bien bon d’y songer ! chacun n’a-t-il pas sa manie ?

Figaro : Et celle de Monsieur est de ne plaider qu’à huis clos ?

Bégearss, lui frappant sur l’épaule : Il n’est pas essentiel qu’un sage entende tout, quand il sait si bien deviner.

Figaro : Chacun se sert des petits talents que le ciel lui a départis.

Bégearss : Et l’intrigant compte-t-il gagner beaucoup avec ceux qu’il nous montre ici ?

Figaro : Ne mettant rien à la partie, j’ai tout gagné… si je fais perdre l’autre.

Bégearss, piqué : On verra le jeu de Monsieur.

Figaro : Ce n’est pas de ces coups brillants qui éblouissent la galerie. (Il prend un air niais.) Mais chacun pour soi, Dieu pour tous, comme a dit le roi Salomon.

Bégearss, souriant : Belle sentence ! N’a-t-il pas dit aussi : Le soleil luit pour tout le monde ?

Figaro, fièrement : Oui, en dardant sur le serpent prêt à mordre la main de son imprudent bienfaiteur ! (Il sort.)

Scène III : Bégearss, seul, le regardant aller.

Il ne farde plus ses desseins ! Notre homme est fier ? bon signe, il ne sait rien des miens ; il aurait la mine bien longue s’il était instruit qu’à minuit… (Il cherche dans ses poches vivement.) Eh bien ! qu’ai-je fait du papier ? Le voici. (Il lit.) "Reçu de Monsieur Fal, notaire, les trois millions d’or spécifiés dans le bordereau ci-dessus. A Paris, le… Almaviva." - C’est bon ; je tiens la pupille et l’argent ! Mais ce n’est point assez ; cet homme est faible, il ne finira rien pour le reste de sa fortune. La Comtesse lui en impose ; il la craint, l’aime encore… Elle n’ira point au couvent, si je ne les mets aux prises, et ne le force à s’expliquer… brutalement. (Il se promène.) - Diable ! ne risquons pas ce soir un dénouement aussi scabreux ! En précipitant trop les choses, on se précipite avec elles ! Il sera temps demain, quand j’aurai bien serré le doux lien sacramentel qui va les enchaîner à moi ! (Il appuie ses deux mains sur sa poitrine.) Eh bien ! maudite joie, qui me gonfles le cœur ! ne peux-tu donc te contenir ?… Elle m’étouffera, la fougueuse, ou me livrera comme un sot, si je ne la laisse un peu s’évaporer pendant que je suis seul ici. Sainte et douce crédulité ! l’époux te doit la magnifique dot ! Pâle déesse de la nuit, il te devra bientôt sa froide épouse. (Il frotte ses mains de joie.) Bégearss ! heureux Bégearss !… Pourquoi l’appelez-vous Bégearss ? n’est-il donc pas plus d’à moitié le Seigneur Comte Almaviva ? (D’un ton terrible.) Encore un pas, Bégearss ! et tu l’es tout à fait. — Mais il te faut auparavant… Ce Figaro pèse sur ma poitrine ! car c’est lui qui l’a fait venir !… Le moindre trouble me perdrait… Ce valet-là me portera malheur… C’est le plus clairvoyant coquin !… Allons, allons, qu’il parte avec son chevalier errant !

Scène IV : Bégearss, Suzanne.

Suzanne, accourant, fait un cri d’étonnement de voir un autre que Figaro : Ah ! (A part.) Ce n’est pas lui !

Bégearss : Quelle surprise ? Et qu’attendais-tu donc ?

Suzanne, se remettant : Personne. On se croit seule ici…

Bégearss : Puisque je t’y rencontre, un mot avant le comité.

Suzanne : Que parlez-vous de comité ? réellement depuis deux ans on n’entend plus du tout la langue de ce pays !

Bégearss, riant sardoniquement : Hé ! hé ! (Il pétrit dans sa boîte une prise de tabac, d’un air content de lui.) Ce comité, ma chère, est une conférence entre la Comtesse, son fils, notre jeune pupille et moi, sur le grand objet que tu sais.

Suzanne : Après la scène que j’ai vue, osez-vous encore l’espérer ?

Bégearss, bien fat : Oser l’espérer !… Non. Mais seulement… Je l’épouse ce soir.

Suzanne, vivement : Malgré son amour pour Léon ?

Bégearss : Bonne femme ! qui me disais : Si vous faites cela, Monsieur…

Suzanne : Eh ! qui eût pu l’imaginer ?

Bégearss, prenant son tabac en plusieurs fois : Enfin, que dit-on ? parle-t-on ? Toi qui vis dans l’intérieur, qui as l’honneur des confidences, y pense-t-on du bien de moi ? car c’est là le point important.

Suzanne : L’important serait de savoir quel talisman vous employez pour dominer tous les esprits ? Monsieur ne parle de vous qu’avec enthousiasme ! ma maîtresse vous porte aux nues ! son fils n’a d’espoir qu’en vous seul ! notre pupille vous révère !…