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Scène XVI

Le COMTE, SUZANNE, LÉON, La COMTESSE, évanouie, FIGARO, accourant.
Figaro.

Eh qui, morte ? Madame ? Apaisez donc ces cris ! c’est vous qui la ferez mourir ! (Il lui prend le bras.) Non, elle ne l’est pas ; ce n’est qu’une suffocation ; le sang qui monte avec violence. Sans perdre de temps, il faut la soulager. Je vais chercher ce qu’il lui faut.

Le Comte, hors de lui.

Des ailes, Figaro ! ma fortune est à toi.

Figaro, vivement.

J’ai bien besoin de vos promesses lorsque Madame est en péril ! (Il sort en courant.)



Scène XVI

Le COMTE, LÉON, SUZANNE, La COMTESSE, évanouie.
Léon, lui tenant le flacon sous le nez.

Si l’on pouvait la faire respirer ! O Dieu ! rends-moi ma malheureuse mère !… La voici qui revient…

Suzanne, pleurant.

Madame ! allons, Madame !…

La Comtesse, revenant à elle.

Ah ! qu’on a de peine à mourir !

Léon, égaré.

Non, Maman ; vous ne mourrez pas !

La Comtesse, égarée.

O ciel ! entre mes juges ! entre mon époux et mon fils ! Tout est connu… et criminelle envers tous deux… (Elle se jette à terre et se prosterne.) Vengez-vous l’un et l’autre ! il n’est plus de pardon pour moi ! (Avec horreur.) Mère coupable ! épouse indigne ! un instant nous a tous perdus. J’ai mis l’horreur dans ma famille ! J’allumai la guerre intestine entre le père et les enfants ! Ciel juste ! il fallait bien que ce crime fût découvert ! Puisse ma mort expier mon forfait !

Le Comte, au désespoir.

Non, revenez à vous ! votre douleur a déchiré mon âme ! Asseyons-la. Léon !… Mon fils ! (Léon fait un grand mouvement.) Suzanne, asseyons-la.

Ils la remettent sur le fauteuil.



Scène XVIII

Les précédents, FIGARO.
Figaro, accourant.

Elle a repris sa connaissance ?

Suzanne.

Ah, Dieu ! j’étouffe aussi. (Elle se desserre.)

Le Comte, crie.

Figaro ! vos secours !

Figaro, étouffé.

Un moment, calmez-vous. Son état n’est plus si pressant. Moi qui étais dehors, grand Dieu ! je suis rentré bien à propos !… Elle m’avait fort effrayé ! Allons, Madame, du courage !

La Comtesse, priant, renversée.

Dieu de bonté ! fais que je meure !

Léon, en l’asseyant mieux.

Non, Maman, vous ne mourrez pas, et nous réparerons nos torts. Monsieur ! vous que je n’outragerai plus en vous donnant un autre nom, reprenez vos titres, vos biens ; je n’y avais nul droit : hélas ! je l’ignorais. Mais, par pitié, n’écrasez point d’un déshonneur public cette infortunée qui fut vôtre… Une erreur expiée par vingt années de larmes est-elle encore un crime, alors qu’on fait justice ? Ma mère et moi, nous nous bannissons de chez vous.

Le Comte, exalté.

Jamais ! Vous n’en sortirez point.

Léon.

Un couvent sera sa retraite ; et moi, sous mon nom de Léon, sous le simple habit d’un soldat, je défendrai la liberté de notre nouvelle patrie. Inconnu, je mourrai pour elle, ou je la servirai en zélé citoyen. (Suzanne pleure dans un coin ; Figaro est absorbé dans l’autre.)

La Comtesse, péniblement.

Léon ! mon cher enfant ! ton courage me rend la vie ! Je puis encore la supporter, puisque mon fils a la vertu de ne pas détester sa mère. Cette fierté dans le malheur sera ton noble patrimoine. Il m’épousa sans biens ; n’exigeons rien de lui. Le travail de mes mains soutiendra ma faible existence ; et toi, tu serviras l’État.

Le Comte, avec désespoir.

Non, Rosine ! jamais. C’est moi qui suis le vrai coupable ! de combien de vertus je privais ma triste vieillesse !…

La Comtesse.

Vous en serez enveloppé. — Florestine et Bégearss vous restent. Floresta, votre fille, l’enfant chéri de votre cœur !…

Le Comte, étonné.

Comment ?… d’où savez-vous ?… qui vous l’a dit ?…

La Comtesse.

Monsieur, donnez-lui tous vos biens, mon fils et moi n’y mettons point d’obstacle ; son bonheur nous consolera. Mais, avant de nous séparer, que j’obtienne au moins une grâce ! Apprenez-moi comment vous êtes possesseur d’une terrible lettre que je croyais brûlée avec les autres ? Quelqu’un m’a-t-il trahie ?