Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/291

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Le Comte, attendri, arrangeant les coussins : Etes-vous bien assise ? Eh quoi ! pleurer encore ?

La Comtesse, accablée : Ah ! laissez-moi verser des larmes de soulagement ! ces récits affreux m’ont brisée ! cette infâme lettre surtout…

Le Comte, délirant : Marié en Irlande, il épousait ma fille ! et tout mon bien placé sur la banque de Londres eût fait vivre un repaire affreux, jusqu’à la mort du dernier de nous tous !… Et qui sait, grand Dieu ! quels moyens… ?

La Comtesse : Homme infortuné ! calmez-vous ! Mais il est temps de faire descendre Florestine ; elle avait le cœur si serré de ce qui devait lui arriver ! Va la chercher, Suzanne ; et ne l’instruis de rien.

Le Comte, avec dignité : Ce que j’ai dit à Figaro, Suzanne, était pour vous comme pour lui.

Suzanne : Monsieur, celle qui vit Madame pleurer, prier pendant vingt ans, a trop gémi de ses douleurs pour rien faire qui les accroisse ! (Elle sort.)

Scène II : Le Comte, La Comtesse, Léon.

Le Comte, avec un vif sentiment : Ah ! Rosine ! séchez vos pleurs ; et maudit soit qui vous affligera !

La Comtesse : Mon fils ! embrasse les genoux de ton généreux protecteur ; et rends-lui grâce pour ta mère. (Il veut se mettre à genoux.)

Le Comte le relève : Oublions le passé, Léon. Gardons-en le silence, et n’émouvons plus votre mère. Figaro demande un grand calme. Ah ! respectons, surtout, la jeunesse de Florestine, en lui cachant soigneusement les causes de cet accident !

Scène III : Florestine, Suzanne, Les Précédents.

Florestine, accourant : Mon Dieu ! Maman, qu’avez-vous donc ?

La Comtesse : Rien que d’agréable à t’apprendre ; et ton parrain va t’en instruire.

Le Comte : Hélas ! ma Florestine ! je frémis du péril où j’allais plonger ta jeunesse. Grâce au Ciel, qui dévoile tout, tu n’épouseras point Bégearss ! Non ; tu ne seras point la femme du plus épouvantable ingrat !…

Florestine : Ah ! Ciel ! Léon !…

Léon : Ma sœur, il nous a tous joués !

Florestine, au Comte : Sa sœur !

Le Comte : Il nous trompait. Il trompait les uns par les autres ; et tu étais le prix de ses horribles perfidies. Je vais le chasser de chez moi.

La Comtesse : L’instinct de ta frayeur te servait mieux que nos lumières. Aimable enfant ! rends grâce au Ciel, qui te sauve d’un tel danger !

Léon : Ma sœur, il nous a tous joués !

Florestine, au Comte : Monsieur, il m’appelle sa sœur !

La Comtesse, exaltée : Oui, Floresta, tu es à nous. C’est là notre secret chéri. Voilà ton père ; voilà ton frère ; et moi, je suis ta mère pour la vie. Ah ! garde-toi de l’oublier jamais ! (Elle tend la main au Comte.) Almaviva ! pas vrai qu’elle est ma fille ? Le Comte, exalté : Et lui, mon fils ; voilà nos deux enfants.

Tous se serrent dans les bras l’un de l’autre.

Scène IV : Figaro, M. Fal, notaire, Les Précédents.

Figaro, accourant et jetant son manteau : Malédiction ! Il a le portefeuille. J’ai vu le traître l’emporter, quand je suis entré chez Monsieur.

Le Comte : O monsieur Fal ! vous vous êtes pressé !

M. Fal, vivement : Non, Monsieur, au contraire. Il est resté plus d’une heure avec moi : m’a fait achever le contrat, y insérer la donation qu’il fait. Puis il m’a remis mon reçu, au bas duquel était le vôtre, en me disant que la somme est à lui, qu’elle est un fruit d’hérédité, qu’il vous l’a remise en confiance…

Le Comte : O scélérat ! Il n’oublie rien !

Figaro : Que de trembler sur l’avenir !

M. Fal : Avec ces éclaircissements, ai-je pu refuser le portefeuille qu’il exigeait ? Ce sont trois millions au porteur. Si vous rompez le mariage, et qu’il veuille garder l’argent, c’est un mal presque sans remède.

Le Comte, avec véhémence : Que tout l’or du monde périsse, et que je sois débarrassé de lui !

Figaro, jetant son chapeau sur un fauteuil : Dussé-je être pendu, il n’en gardera pas une obole ! (A Suzanne.) Veille au dehors, Suzanne. (Elle sort.)