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ACTE PREMIER

Nouvelle ouverture d’un genre absolument différent de la première.

(Les nuages qui couvrent le théâtre s’élèvent ; on voit une salle du palais d’Atar.

Scène I

Pendant que l’ouverture s’achève, des soldats nombreux sortent de chez l’empereur, portant des drapeaux persans déchirés et de riches dépouilles enlevées à l’ennemi.
un chœur de soldats, sur l’harmonie de l’ouverture.

Chantons la nouvelle victoire
Dont Tarare a toute la gloire.
Puisqu’on nous laisse enfin ces drapeaux qu’il a pris,
Qu’ils soient de sa valeur et la preuve et le prix.


Scène II

URSON, venant au-devant des soldats, leur dit à demi-voix :

Guerriers, si vous aimez Tarare,
Dans ce palais du moins cessez votre fanfare.
Vous avez trop vanté son courage éclatant.
L’empereur paraît mécontent.

les soldats se pelotonnent, et chantent en chœur d’un ton sourd :

Avez-vous vu sa contenance,
Et comme il restait en silence ?
Portons nos chants en d’autres lieux,
Le peuple nous entendra mieux.

(Ils sortent sans ordre et précipitamment.)


Scène III

ATAR, CALPIGI.
ATAR, en entrant, violemment.

Laisse-moi, Calpigi !

CALPIGI.

La fureur vous égare.
Mon maître, ô roi d’Ormus, grâce, grâce à Tarare !

ATAR.

Tarare ! encor Tarare ! Un nom abject et bas Pour ton organe impur a donc bien des appas ?

calpigi.

Quand sa troupe nous prit au fond d’un antre sombre,
Je défendais mes jours contre ces inhumains.
Blessé, prêt à périr, accablé par le nombre,
Cet homme généreux m’arracha de leurs mains.
Je lui dois d’être à vous ; seigneur, faites-lui grâce.

ATAR.

Qui ? moi, je souffrirais qu’un soldat eût l’audace
D’être toujours heureux, quand son roi ne l’est pas !

CALPIGI.

À travers le torrent d’Arsace,
Il vous a sauvé du trépas ;
Et vous l’avez nommé chef de votre milice.
À l’instant même encore un important service…

ATAR.

Ah ! combien je l’ai regretté !
Son orgueilleuse humilité.
Le respect d’un peuple hébété,
Son air, jusqu’à son nom… Cet homme est mon supplice
Où trouve-t-il, dis-moi, cette félicité ?
Est-ce dans le travail, ou dans la pauvreté ?

CALPIGI.

Dans son devoir. Il sert avec simplicité
Le ciel, les malheureux, la patrie, et son maître.

ATAR.

Lui ? c’est un humble fastueux,
Dont l’orgueil est de le paraître :
L’honneur d’être cru vertueux
Lui tient lieu du bonheur de l’être :
Il n’a jamais trompé mes yeux.

CALPIGI.

Vous tromper ! lui, Tarare ?

ATAR.

Ici la loi des brames
Permet à tous un grand nombre de femmes ;
Il n’en a qu’une, et s’en croit plus heureux.
Mais nous l’aurons, cet objet de ses vœux ;
En la perdant, il gémira peut-être.

CALPIGI.

Il en mourra !

ATAR.

Tant mieux ! Oui, le fis du grand prêtre,
Altamort a reçu mon ordre cette nuit.
Il vole à la rive opposée,
Avec sa troupe déguisée :
En son absence, il va dévaster son réduit.
Il ravira surtout son Astasie,
Ce miracle, dit-on, des beautés de l’Asie.

CALPIGI.

Eh ! quel est donc son crime, hélas ?

ATAR.

D’être heureux, Calpigi, quand son roi ne l’est pas ;
De faire partout ses conquêtes
Des cœurs que j’avais autrefois…

CALPIGI.

Ah! pour tourner toutes les têtes,
Il faut si peu de chose aux rois !

ATAR.

D’avoir, par un manége habile,
Entraîné le peuple imbécile.

CALPIGI.

Il est vrai, son nom adoré,
Dans la bouche de tout le monde,
Est un proverbe révéré.
Parle-t-on des fureurs de l’onde,
Ou du fléau le plus fatal,
Tarare est l’écho général :
Comme si ce nom secourable
Éloignait, rendait incroyable
Le mal, hélas! le plus certain…