Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/365

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de Beaumarchais pour les bois de Touraine. Il revenait donc à soutenir que l’acte qui la résiliait était faux.

Sur le septième article, contenant une indemnité, il disait : C’est en trompant M. Duverney qu’on se fait adjuger l’indemnité sur une affaire qu’on lui présentait comme onéreuse, quand il est prouvé qu’elle est très-bonne. Il regardait donc derechef l’acte comme véritable : car, pour abuser de l’esprit d’un acte, il faut que le fond en existe entre les parties.

Plus loin, il disait : Payez-moi pour 56,000 liv. de contrats, car vous les deviez à M. Duverney. L’acte qui les passe en compte était donc faux, selon lui ?

Plus loin encore, il disait : Je ne vous prêterai point 75,000 liv. : car, selon l’acte même, j’ai le droit de rentrer en société. L’acte dont il excipait alors était donc redevenu véritable ?

C’est ainsi que, pirouettant sur une absurdité, il trouvait l’acte faux ou véritable, selon qu’il convenait à ses intérêts.

N’alla-t-il pas jusqu’à dire et faire imprimer : Si je préfère de discuter l’acte comme véritable, à l’attaquer comme faux, c’est parce que j’y trouve plus mon profit. Il est honnête le comte de la Blache !

Enfin, sans qu’on ait jamais pu savoir au vrai ce que mon adversaire voulait et ne voulait pas sur cet acte, on a tranché la question d’après l’avis de M. Goëzman, en annulant l’arrêté de compte, sans qu’il fût besoin de lettres de rescision.

Était-ce décider que l’acte est faux. C’eût été juger ce qui n’était pas en question ; on ne s’était pas inscrit en faux : donc il faudrait réformer l’arrêt.

Était-ce juger que l’acte est véritable, mais qu’il y a erreur ou dol, double emploi ou faux emploi ? Mais dans ce cas on ne pouvait l'annuler sans qu’il fût besoin de lettres de rescision. Donc, de quelque côté qu’on l’envisage, l’arrêt du parlement ne peut se soutenir, et doit être réformé.

Je n’ai traité dans ce court exposé que la partie du fond de mon affaire qui a rapport à la cassation que je sollicitais ; j’ai laissé de côté mon droit incontestable, parce qu’il ne s’agit pas aujourd’hui de savoir si j’ai tort ou raison sur le fond de mes demandes, mais seulement si le parlement a jugé selon les lois l’entérinement des lettres de rescision, la seule question qui lui était soumise.

J’aurais cru, monsieur, vous faire la plus mortelle injure en osant publier l’odieux propos qu’on vous attribuait alors. M. Goëzman, disait-on, répond à tous ceux qui lui objectent l’irrégularité du prononcé : On a jugé l’homme et non la chose. Mais vous avait-on donné un homme à juger ? Rapporteur d’un procès civil, deviez-vous faire acception de personnes ; et parce qu’un des clients vous semblait accrédité, dénier la justice à l’autre ? Et vous avez la confiance aujourd’hui d’imprimer pour motifs d’un arrêt attaqué au conseil : Qu’on décide maintenant quel homme le parlement a jugé !

Est-elle assez justifiée l’opinion que j’avais prise et donnée de votre partialité, quand j’avançai dans mon premier mémoire que vous aviez dit, en sortant de la chambre : Le comte de la Blache a gagné son procès, et l’on a opiné du bonnet d’après mon avis ?

En parlant à le Jay, monsieur, vous aviez arrangé les choses pour qu’il ne fût pas entendu comme accusé. En rapportant mon procès, vous les avez arrangées pour que je fusse traité comme coupable.

Mais ce n’est jamais impunément qu’un magistrat s’écarte de son devoir. Il s’élève un cri public ; et, s’il est un moment où les juges prononcent sur chaque citoyen, dans tous les temps la masse des citoyens prononce sur chaque juge. Le jugement des premiers est légal, celui des seconds n’est que moral ; mais il est encore à décider lequel est d’un plus grand poids pour retenir chacun dans le devoir. Tout citoyen sans doute est soumis aux magistrats ; mais quel magistrat peut se passer de l’estime des citoyens ? Dans l’ordre civil, l’action des juges sur les particuliers, et la réaction de ces derniers sur les juges, forment entre la nation et les magistrats un équilibre de respect et d’équité qui fait l’honneur des uns, la sûreté des autres, et le bonheur de tous.

Mais le souvenir de ce que j’ai souffert depuis ce fatal arrêt abat mes forces et trouble ma sérénité. Changeons d’objet : j’ai besoin des unes pour achever ces défenses, et l’autre m’est nécessaire pour soutenir tant de malheurs.

Suit après la discussion inutile des stations inutiles que j’ai faites à votre porte, madame, et les preuves tirées de la liste de votre portière. Ce long article de votre mémoire semble y avoir été mis exprès pour le tourment de qui voudra le discuter.

Mais, comme il n’y a pas d’absurdité si forte qui ne trouve encore des partisans, j’ai vu de bons et honnêtes gens émus par votre air d’assurance, et qui, n’ayant rien compris à ce que vous avez écrit à ce sujet, n’en vont pas moins disant partout : La liste de la portière est une preuve invincible ; d’autres qui, entraînés par l’autorité de ceux-ci, répètent, sans y mieux voir : Je crois, en effet, qu’il y a peu de chose à répondre à cette liste ; et d’autres enfin qui, n’ayant pas même lu votre mémoire, à force d’entendre citer cette fameuse liste, ne laissent pas que d’aller aussi répétant, pour figurer : Beaumarchais ne se tirera jamais de la liste de la portière. Et c’est ainsi que se sont établies toutes les absurdités du monde, jetées en avant par l’audace, répandues par l’oisiveté, adoptées par la paresse, accréditées par la redite, fortifiées par l’enthousiasme, mais rendues au néant par le premier penseur qui se donne la peine de les examiner.