Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/382

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tous présidents et conseillers de solliciter dans les cours où ils sont officiers. Voici les termes :

« Nous défendons à tous présidents et conseillers de nos cours souveraines de solliciter pour autrui les procès pendants ès cours où ils sont officiers, et d’en parler aux juges directement ni indirectement, sous peine de privation de l’entrée de la cour et de leurs gages pour un an, et d’autres plus grandes peines s’ils y retournent, dont nous voulons être avertis, et en chargeons notre procureur général sur les peines que dessus. »

L’ordonnance de 1667 a renouvelé la même disposition sur l’article 6 du titre xxiv des récusations. « Sans qu’ils (les présidents ou conseillers) puissent solliciter pour autres personnes, sous peine d’être privés de l’entrée de la cour et de leurs gages pour un an, ce ne pourrait être remis ni modéré pour quelque cause ou occasion que ce soit ; chargeons nos procureurs généraux de nous en donner avis, à peine d’en répondre par eux, chacun à leur égard, en leur nom. »

Fondé sur des textes aussi précis, j’ai conclu par ma requête à ce que, attendu qu’il est prouvé par écrit que M. le président de Nicolaï a donné conseil à M. Goëzman, et qu’il est de notoriété qu’il sollicite ouvertement et journellement pour lui, il fût ordonné qu’il serait tenu de s’abstenir du jugement du procès, sauf à M. le procureur général à prendre tel parti qu’il avisera, conformément aux ordonnances ci-dessus citées.

Pour présenter cette requête, il fallait qu’elle fût signée d’un avocat titulaire ; la crainte de déplaire à un président à mortier les a tous éloignés. Forcé de m’adresser à M. le premier président pour m’en commettre un, j’ai eu l’honneur de le voir ; ce magistrat m’a donné sa parole que M. de Nicolaï ne serait pas de mes juges ; et sur cette parole respectable j’ai consenti à ne pas user du droit que j’avais de donner ma requête. En effet, M. le président de Nicolaï s’est abstenu de se trouver aux chambres depuis que le rapport de ce procès est commencé.

Mais MM. Gin et Nau de Saint-Marc ont craint apparemment que je ne manquasse de juges ; malgré mes prières, ils ont constamment refusé de se récuser.

Je me contenterai de leur rappeler ici le trait d’Auguste, cité par Suétone. Lorsque Nonius fut accusé d’un crime atroce au sénat de Rome, Auguste, qui l’aimait tendrement, voulut se lever et sortir du Capitole, de peur de gêner les délibérations ; et, malgré les prières des sénateurs, il n’y resta que très-peu de temps, sedit per aliquot horas in subselliis ; mais sans dire un mot, sans recommander la cause de son ami, et sans jamais la solliciter pour lui : tacitus, ac ne laudatione quidem judiciali data.

Quel exemple pour MM. Gin et Nau de Saint-Marc, sans celui qu’ils ont reçu de plusieurs de leurs confrères en cette affaire même ! Mes inquiétudes sur leurs liaisons avec M. Goëzman, et les discours qu’ils ont tenus sur mon compte, ne devraient-ils pas être un assez puissant motif pour les engager à s’abstenir du jugement ? Je ne prononce point sur leur conduite, je m’en plains seulement à eux-mêmes, sans sortir du respect dû à des conseillers de la cour. Mais pourquoi s’obstinent-ils à être mes juges ?

À l’égard du conseil que M. de Nicolaï a donné de faire les déclarations, mon profond respect pour lui m’empêchera d’agiter la grande question de savoir si l’aveu qu’on fait à la cour de conseil est propre à disculper un homme, ou à en inculper deux.

Dois-je répondre au nouveau mémoire de madame Goëzman, divisé en trois sections, sous le titre de première, seconde et troisième atrocité, ou l’auteur, ne pouvant plus contester tous les faits rapportés dans mon supplément, se réduit à les tordre, à les tourmenter, pour se les rendre moins défavorables ; mais où il fait l’aveu public de la fidélité de ma mémoire et de mes citations, en supposant que le procès en entier m’a été communiqué[1] ? Le but de ni ouvrage est de prouver que j’ai voulu corrompre M. Goëzman et gagner son suffrage ; mais, tandis que M. Goëzman soutient que son suffrage était ingagnable, je soutiens, moi, que mon procès était imperdable. Entre deux hommes aussi éloignés de se rechercher dans aucune vue de corruption, quel autre motif pouvait interposer de l’or, que le besoin pressant d’audiences d’une part, et le refus constant d’en donner de l’autre ?

L’obstination de mes ennemis à m’opposer un fantôme de corruption que l’évidence des faits et la multitude des preuves ont mille fois anéanti, me

  1. J’ai fait vœu de répondre à tout. Dans une de ces gazettes de Hollande, dont on vient de m’envoyer l’extrait, le scrupuleux nouvelliste s’explique en ces termes, à la date du 7 décembre 1773.
    « Ce n’est point sans surprise que l’auteur de cette gazette s’est vu citer dans une note à la page 66 du Supplément au mémoire a consulter du sieur Caron de Beaumarchais, pour un fait dont il n’a jamais parlé. Il somme le sieur de Beaumarchais de désigner le numéro où il prétend que s’est trouvée la fausse anecdote, que lui-même peut-être eût souhaité y voir insérée. Ce plaideur inquiet, qui semble avoir l’art funeste d’envelopper tout le monde dans ses tracasseries, n’aurait-il pas dû craindre qu’une citation, si aisée à convaincre elle-même de fausseté, ne fît très mal augurer du reste des assertions contenues dans son mémoire ? »
    Il est juste de donner satisfaction au gazetier, qui me fait l’honneur de me sommer. Le trait qui paraît le blesser a été puisé dans la Gazette de la Haye, du vendredi 23 juillet 1773, no 88. Je copie, la gazette à la main.
    « M. de Beaumarchais a été décrété d’ajournement personnel ; Bertrand Dairolles, Provençal, faisant toutes sortes d’affaires, a été décrété d’assigné pour être ouï, et le Jay décrété de prise de corps : on ne sait point ce que tout cela deviendra. Ce qu’il y a de très-sûr, c’est que madame Goëzman, anciennement actrice à Strasbourg, où M. Goëzman l’épousée, dans le temps qu’il était au conseil supérieur de Colmar, vient d’être enfermée dans un couvent. »