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VIE DE BEAUMARCHAIS.

Rien de tout cela ne fut du goût du public. On avait, d’ailleurs, fait un trop grand succès à l’esprit de ses Mémoires, pour se hâter d’en faire un sans réserve à celui de sa comédie. Ce qu’on savait de ses parades chez Le Normant, à Étioles, où le Barbier, on le verra par un des morceaux inédits à la fin du volume, s’était lui-même essayé sous cette forme, dont — comme certains grains de trop gros sel et de trop gros poivre le faisaient sentir — il n’avait pas tout perdu, lui nuisait aussi quelque peu, le recommandait mal, même pour une pièce des jours gras, à la Comédie française.

Aux premiers traits de trop verte allure, aux premiers mots de trop forte épice, on cria à la farce ! à la parade ! et, ainsi qu’il arrive en pareil cas, tout le reste fut condamné, sans qu’on daignât l’entendre. « On n’y trouve, disent les Mémoires secrets[1], qui sont l’écho brutal mais franc de cette impression du premier soir, qu’un remplissage de trivialités, de turlupinades, de calembours, de jeux de mots bas, et même obscènes : en un mot, c’est une parade fatigante, une farce insipide, indigne du Théâtre-Français. »

Beaumarchais se le tint pour dit, sans se tenir pour battu. Sifflé le jeudi, il eut en un tour de main remanié sa comédie pour le dimanche, ratissé, balayé, émondé ce qui avait déplu, et, ce qui importait par-dessus tout, repris cette mesure des quatre actes que la pièce a gardée, et qu’il n’avait étendue en cinq, à la prière des comédiens, disait-il pour s’excuser[2], que par une coupure maladroite du troisième acte en deux[3].

Gagnant ainsi à tout ce qu’elle perdait, elle reprit pied[4], marcha, et marche encore. Il ne voulut pas avoir le démenti de sa chute[5]. Quand la pièce parut, six mois après, vers la fin de juillet, avec une préface célèbre, et qui fit son tapage, comme tout ce qui venait de lui, il se donna le plaisir de faire honte au parterre de son premier arrêt. Sous le titre de ce Barbier si bien relevé — la préface, il est vrai, oubliait un peu trop de dire au prix de quelles retouches[6] — il écrivit : « Comédie représentée et tombée le 23 février 1775. »

La publication n’en avait été retardée que parce que Beaumarchais s’était déjà remis dans ces affaires plus ou moins cachées, et plus ou moins lointaines, dont son esprit avait le flair, son activité le besoin. Il était à Londres, et, comme toujours, sans qu’on sût bien pourquoi. On l’apprit plus tard. Le rachat d’une correspondance entre Louis XV et le chevalier d’Éon, que Louis XVI voulait à tout prix reprendre aux mains de celui-ci, qui pouvait la rendre compromettante, l’occupa d’abord. Ce fut chose assez vite faite, malgré un certain nombre d’incidents, comiques ou sérieux, auxquels on devait d’ailleurs s’attendre en des négociations menées par de telles gens de même trempe et de même force.

Le plus curieux, c’est que cette fois le mystifié, la dupe nous semble avoir été Beaumarchais. D’Éon, comme on sait, ne portait plus l’habit d’homme, depuis certaine affaire très-grave avec M. de Guerchy et sa famille, que Louis XV avait éteinte, en imposant à d’Éon ce travestissement, qui rendait un duel impossible.

Ainsi vêtu, assez imberbe, avec une voix très-peu masculine, tout le monde croyait que cet ancien capitaine de dragons était une femme. Beaumarchais fit comme tout le monde, et d’Éon, lorsque commencèrent les négociations du rachat des lettres, sut avec la plus étonnante rouerie, en profiter pour coqueter et feindre une passion qui, en flattant la fatuité de l’autre, put le lui gagner, et l’amener à lui faire des conditions meilleures.

On s’amusa beaucoup de l’aventure, jusqu’à dire qu’elle finirait par un mariage[7].

  1. T. VII, p. 340.
  2. Id., ibid.
  3. Loménie, t. I, p. 467-469.
  4. On la rejoua d’abord dix-sept fois de suite. Mémoires secrets, t. VII, p. 155. V. aussi la préface du Barbier.
  5. Mémoires secrets, t. VII. p. 151.
  6. Loménie, t. I, p. 472.
  7. Beaumarchais lui-même y fait allusion dans une lettre. (Id., p. 433.)