Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/459

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un prêt de cette importance ? il n’en fallait pas tant pour me ruiner !

Mais l’affaire, quoique consommée, ayant été rompue par des événements dont le récit est plus essentiel au roman philosophique de ma vie qu’à l’histoire ennuyeuse de mon procès, au bout de six mois j’avais reperdu mes espérances, il avait retrouvé ses fonds, et tout était rentré dans l’ordre accoutumé.

Cinquante-six mille francs seulement, restés à lui sur ma charge de secrétaire du roi, en augmentant un peu mon état, diminuaient encore mon aisance, puisque je lui payais quatre pour cent d’un argent qui m’en rapportait à peine trois. Il m’avait encore prêté depuis, sur de simples reçus, quarante-quatre mille francs, pour m’aider dans l’acquisition d’une maison. Mais payer le loyer d’un logement ou l’intérêt de l’argent qui me l’avait acquis, cela revenait au même : on sent que je n’en étais pas plus riche. D’ailleurs cet argent n’était pour moi qu’une espèce d’avance de six mille francs d’arrérages de ma rente viagère, que je n’ai plus exigés depuis, à cause de ces prêts d’argent qui les avaient absorbés pour longtemps. m’avait confié’pour deux cent mille francs de ses billets au porteur en 1764, lorsque je fus en Espagne ; mais c’était à condition que je n’en ferais aucun autre usage que de les déposer, i a cas d’affaire majeure, pour augmenter ma consistance par un crédit de cette étendue sur lui. Tout cela méritait bien de ma part un dévouement parfait à ses intérêts ; mais tout cela n’augmentait ni n’assurait ma fortune : il le sentait, il avait la générosité de s’en affliger, et ne se croyait point quitte envers moi, quoique ma reconnaissance envers lui fût sans bornes.

Enfin, voyant son crédit sur les affaires générales à peu près tombé en 1766, il me pressa de former une compagnie pour acquérir sur le roi deux mille arpents dans la forêt de Chinon, et de me réserver un tiers dans l’entreprise. Le tiers d’intérêt dans une affaire qui exigeait plus de cinq ou six mille francs d’avance ! à moi qui vivais modestement de mes revenus, et qui ne pouvais détourner un sou de mon capital sans me couper absolument les vivres ! on sent, bien que cela ne pouvait me convenir, à moins qu’un fort capitaliste ne se joignit à moi. C’est ce que fit M. Duverney.

Par un traité de société particulier entre nous deux, il prit trois quarts dans mon tiers, à la charge de faire ses fonds et les niions-, ce qui me laissait, pour mon travail, un douzième sans fonds dans les bénéfices de l’affaire. Voilà l’époque et le fondement de notre association sur les bois de Touraine.

On peut encore se rappeler qu’en 1765, de la vente d’une charge à moi, j’avais touché soixante-dix mille livres, et que de cet argent je lui avais remboursé dix-huit mille livres, el nom’mille cinq cents livres qui avaient produit deux des trois quittances dont il s’est agi plus haut dans l’acte ; enfin que j’avais jeté le reste de mes fonds dans l’affaire commune.

Depuis, avantageusement marié, je continuai de verser de l’argent dans cette affaire, avec d’autant plus de facilité que j’avais deux garants : l’entreprise, qui m’en répondait, et M. Duverney, pour qui je payais ; ce qui m’acquittait d’autant envers lui.

Voilà comment, en 1770, je lui offris en acquittement ma mise de fonds dans cette entreprise, montant à quatre-vingt-trois mille francs en capitaux et intérêts ; ce qui forma les articles vi et vu de notre arrêté, dont je viens d’établir encore une fois le fondement.

Et de tout ce que j’ai dit, il en existe plus de preuves morales, physiques et publiques, qu’il n’en faut pour convaincre et persuader tout ce qui n’est pas le légataire de M. Duverney. Lettres et recommandations bien respectables, grande notoriété d’événements, contrat existant de cinq cent mille francs, certificat d’un dépôt de cent mille livres, charge de secrétaire du roi, maison acquise, à moi vendue soixante-dix mille francs, es de la caisse de ma compagnie pour quatre-vingt-trois mille livres, etc., etc., etc. Et le comte Falcoz de la Blache ne veut pas qu’il soit résulté de tout cela un arrêté de compte entre M. Duverney et moi, dont le reliquat aille à quinze mille livres ! Il m’intente un procès atroce pour éluder de me le payer ! Et ce procès, il le soutiendra sans preuves jusqu’à extinction de poumons ! Il ira jusqu’à déshonorer, s’il le faut, le jugement de son bienfaiteur, plutôt que d’en avoir le démenti ! Et cet homme était un parent éloigné de M. Duverney, qui lui a laissé toute sa fortune ! Et ce riche légataire jouit à présent de plus de deux cent mille livres de rente ! Et il en aurait encore douze mille de plus, s’il eût pu faire signer à son bienfaiteur mourant un acte arrangé pour les enlever à sa respectable mère, qui I de M. Duverney, son oncle ! Et il en aurait douze mille de moins, s’il n’eût pas constamment empêché M. Duverney de faire le moindre bien à son propre frère, gentilhomme aussi considéré que mon adversaire est reconnu avide ! Et M. Duverney me disait quelquefois : « En laissant tout mon bien à Falcoz, que j’ai créé, avancé, marié, enrichi, je crois donner un soutien, <n pore à tous mes parents… » Rouvrez le : yeux, s’il se peut, malheureux testateur ! voyez ce père, e1 ce soutien de vos parents I — chicaner, les plaider tous l’un après l’autre, sur les moindres objets qu’il n’a pu leur ôter entièrement. Je ne suis pas le trentième qu’il ait voulu dépouiller. honte ! et l’on est étonné que l’indignation s’empare de moi quelquefois ! J’en demande bien pardon aux