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l’héritage du grand-oncle, opposa son courage à l’injuste colère de M. Duverney contre son neveu. Pendant ce temps, à la vérité, le négociateur fut si bien soutenu par les soins que M. de Mézieu se donnait en Bretagne pour les affaires de M. Duverney, qu’au retour du neveu le jeune homme en question parvint à le remettre dans les bras de son oncle.

Et comme les seules réponses du légataire universel sont de toujours nier les faits, jusqu’à ce qu’enfin la preuve et la confusion publique, arrivant à la fois, le fassent tomber dans la rage mue, en le réduisant au silence, entre dix lettres que M. de Mezieu écrivit de Bretagne en 1761 au négociateur Beaumarchais, je ne rapporterai que ces fragments d’une seule : ils sont suffisants pour convaincre nos juges et le public de la candeur des imputations du comte Alexandre-Joseph Falcoz de la Blache, appelant, contre son adversaire. Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, intimé.

Comme je ne puis de ce pays obtenir assez tôt de M. Pâris de Mézieu son aveu pour publier une de ses anciennes lettres, je lui présente mes excuses de l’imprimer sans sa permission, et je le fais avec d’autant moins de scrupule, qu’elle ne contient que des choses infiniment honorables pour lui.

« À Carcé, le 31 décembre 1761.

« Si j’ai eu quelque impatience, monsieur, en ne recevant point de vos nouvelles, l’objet la rend excusable, et vous êtes plus fait que personne pour en juger, puisque personne ne connaît mieux que vous le but de mon empressement, et de quel prix il est pour moi. Je crains bien que l’envie de m’obliger ne vous éblouisse un peu sur les dispositions favorables où vous m’assurez que mon oncle est actuellement à mon égard

« Vous dites, monsieur, que mon oncle a été blessé du point de ma lettre où je lui fais entendre, qu’il est livré à ses entours, et qu’il agit par leurs instigations. Je vous observerai sur cela, premièrement, qu’en me marquant dans votre lettre, que vous lui aviez montrée, que vous n’osiez lui parler de moi autrement qu’en particulier, c’était assez me donner à entendre que votre projet et mes désirs n’étaient pas du goût de tout le monde. Vous ne redoutez point les chimères ; et si vos craintes eussent été sans fondement, vous n’eussiez pas pris des précautions inutiles ; votre dessein cependant ne pouvait être traversé par des gens sans crédit auprès de mon oncle. Vous avez donc pensé qu’il s’en trouvait qui en avaient, et qui pouvaient en abuser en s’opposant à mon bonheur, etc… (Ici trois pages de détails.)

« Je vous suis toujours infiniment obligé, monsieur, de tous les soins que vous avez bien voulu prendre pour contribuer à ma félicité… Pour vous, monsieur, qui n’avez que des envieux à craindre, je ne doute pas que vous n’en triomphiez. Ils se lasseront de vous poursuivre (ils ne se sont point lassés !), et la vérité sera tout entière en votre faveur.

« J’ai l’honneur d’être, avec les sentiments les plus sincères et les plus vifs, monsieur, votre, etc.

« Signé Pâris de Mézieu. »

Qu’on rapproche maintenant la lettre du neveu, datée de 1761, de celle de l’oncle, datée de 1760, que j’ai citée page 393 de ce mémoire, et qui montre avec quelles considération, estime et reconnaissance il m’écrivait déjà, l’on jugera d’un coup d’œil si dès ce temps M. Duverney accordait ou non la plus grande confiance à ce jeune homme tant dédaigné, nommé Beaumarchais ; si ce jeune homme était initié dans tous les secrets de sa famille, et s’il s’employait avec succès à rapprocher deux hommes du plus grand mérite, que l’avidité, la haine et l’intrigue avaient séparés.

À cet examen on reconnaîtra déjà cet alerre et rusé légataire universel, qui n’a bien déployé son caractère injuste et dur qu’après s’être fort assuré que le testateur, que cet oncle Alworti ne pouvait venir le lui reprocher, et l’en punir par l’exhérédation, comme un autre Blifil.

Par l’examen de ces deux lettres, on apprendra pourquoi ce désintéressé comte de la Blache a fait, pendant dix ans, les derniers efforts pour enlever à Beaumarchais le cœur et la confiance de son ami respectable.

On y verra la source de la plus noire intrigue à cet égard, et celle des abominables lettres anonymes qu’on ne cessait d’écrire à ce vieillard sur mon compte, et à moi-même sur le sien.

On y verra pourquoi, cherchant en vain la paix dans sa maison, il m’avait prié de ne plus le voir qu’en particulier, à des heures convenues, où cet homme, entravé dans les liens d’un esclavage domestique, était obligé de sortir en carrosse par sa grande porte, et de rentrer à pied chez lui par la basse-cour donnant sur le boulevard, pour être libre de me voir ; circonstance invinciblement prouvée par la réponse même qu’il fait à cette lettre du 9 mars 1770, que j’ai rapportée plus haut.

« Quand voulez-vous que nous nous voyions ? lui demandai-je à la fin, car je vous avertis que d’ici là je ne ferai pas une panse d’A sur vos corrections. »

À quoi il répond de sa main sur le même papier :

« Ce vendredi.

« Demain entre cinq et six heures. Si je n’y étais pas, il faudra m’attendre, parce que je sortirai pour être en liberté. »

Il sortira pour être en liberté ! Il était donc obsédé par l’espionnage ! En liberté de quoi ? de voir en secret le sieur de Beaumarchais, auquel il avait