Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/496

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imposé ce devoir pénible, devoir qui faisait regimber ce dernier, parce que ce dernier est un animal fier (et même un peu brutal, dit le comte de la Blache).

De laquelle fierté, duquel regimbage, desquels devoirs pénibles, duquel mystère, desquels espionnages, desquelles lettres anonymes et noires intrigues domestiques, le lecteur va recevoir des preuves aussi claires que le jour !

Le 8 octobre 1769, c’est-à-dire peu de temps après cette arrivée de Touraine sur laquelle les soussignés ont tant argumenté (page 41), en citant trois de mes lettres ostensibles, j’eus occasion d’écrire à M. Duverney le billet suivant, en lui envoyant par une voie sûre une atrocité anonyme dont je venais d’être régalé. Je prie le lecteur de donner toute son attention à mon billet d’envoi et à la réponse de M. Duverney, de sa main, sur le même papier. Tout cela est tellement lié à ce qui précède et à ce qui va suivre, qu’on ne peut trop s’en pénétrer. C’est moi qui parle :

« Lisez la belle chienne de lettre anonyme que je viens de recevoir. Voyez comme vous y êtes traité, ainsi que moi, et dites encore que mes devoirs sont de vous voir souvent, parce que je vous dois de la reconnaissance ! Réellement ils croient que nous machinons quelque-chose contre l’intérêt de votre succession ! Je ne veux plus vous voir avec ce mystère. Ou recevez-moi comme tous vos amis, ou trouvez bon que je laisse là mes devoirs. Cela paraît être de la main d’une femme. On viendra encore vous tourner, vous questionner : quel parti tiendrez-vous ? Celle-ci est encore plus insolente que celle que vous avez reçue vous-même.

« L’affaire de l’achat de la maison de Rivarennes, etc. (mais ne détournons pas le lecteur de l’objet que je traite en ce moment)… J’espère que vous allez brûler l’infâme après l’avoir lue. Je vous avoue qu’elle m’a ému la bile horriblement à la lecture. Et je disais : C’est ce chien de mystère qu’on veut que je mette à notre amitié qui m’attire ces horreurs : mon ami, vous êtes la belle passion de mon âme ; mais moi j’ai l’air de n’être que votre passion honteuse ! je ne veux plus de ces devoirs, si je ne m’en acquitte publiquement, etc. »

Eh ! que répond à cela M. Duverney, de sa main, sur le même papier ? Écoutons.

« Ce n’est pas une femme ni une personne seule qui a fait la pièce pleine de malice dont on a fait lecture. On a vraisemblablement eu pour objet d’examiner quel en serait l’effet. Le silence peut faire croire que l’on n’improuve pas l’accusé ; cependant on doit se taire, ne rien dire ; mais se préparer à répondre, si l’on allait jusqu’à faire des questions, et s’en tenir en ce cas au projet formé, que tout ce qui est anonyme ne se lit point, et que l’on jette tout au feu.

« Les devoirs ne doivent point être interrompus, mais les rendre moins exacts et moins souvent pour un temps.

« Ne conviendrait-il pas que l’on dît à N… et à N… que l’on a reçu plusieurs lettres anonymes, et que, conformément à l’usage ordinaire, on les a brûlées ? d’autant mieux que cette licence peu honnête est portée à un point qui n’eut jamais d’exemple, puisque l’on se met sur le ton de n’épargner personne, etc. »

Telle est sa réponse :

« Ce n’est pas une femme, dit-il, ni une personne seule qui a fait la pièce, etc. » (Vous voyez bien, lecteur, qu’il savait, ainsi que moi, à qui s’en prendre !) « Ne conviendrait-il pas que l’on dît que l’on a reçu plusieurs lettres anonymes ? » (Il en avait donc reçu plusieurs, ainsi que moi ! C’était donc un usage établi, une voie ouverte contre nous ?) « La licence en est portée à un point qui n’eut jamais d’exemple ; on n’épargne personne. » (Elles étaient donc bien noires et bien atroces, ces lettres !) Et puis l’on cherche toute la vie pourquoi tel homme est dénigré, déchiré ! On a cherché qui faisait, pendant mes procès, insérer tous ces articles abominables contre moi dans les gazettes étrangères ; et c’est après dix ans de patience que l’acharnement d’un perfide ennemi me force enfin de mettre au jour toutes ces horreurs ! Quelle âme, messieurs ! quelle âme !

Et cette lettre a été jointe au procès dès le principe, et le comte de la Blache l’avait lue chez mon notaire avant le procès, et l’on juge assez qu’elle n’avait fait qu’enflammer sa haine et ses désirs de vengeance !

Allons, M. le comte de la Blache ! encore une petite inscription de faux contre cette lettre ! Vous en avez tant à faire, qu’une de plus ne doit pas vous arrêter en si beau chemin !

Enfin, c’est ici le lieu de rappeler ces trois lettres ostensibles de moi. citées par eux avec fracas (p. 40 et 41).

« Il a été trouvé dans les papiers de M. Duverney trois lettres du sieur de Beaumarchais, des 8 février, 24 juin et 11 octobre 1769. Les voici… » Quatre pages de commentaires !

Si j’ai transporté cet objet tout au travers les ruses, c’est qu’il pourrait bien s’y en rencontrer une innocente, à nous avoir assuré que ces trois lettres sont tout ce qu’on a trouvé de moi sous le scellé de M. Duverney, lorsque, par une distraction, légère à la vérité, les soussignés avaient, sans y songer, laissé tomber de leur plume ces petits mots qui n’ont pu m’échapper (p. 10) : « On trouve enfin dans les pièces inventoriées quelques autres lettres du sieur de Beaumarchais, les unes sans date, et trois autres datées des 8 février, 24 juin, 11 octobre 1769. »

Par quel hasard ces unes sans date ne reviennent-elles plus du tout dans la consultation, pendant