Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/508

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carrière, empoisonné mon existence, il vous est soumis dans le même état que le jour qu’il naquit.

C’est toujours, d’une part, un acte bien pur et bien entier ; de l’autre, des allégations, des vexations, des injures et des calomnies. Hé ! le tiers de ma vie s’est usé dans ces tristes débats.

J’ignore si quelque loi prononce les réparations d’honneur que j’ai droit d’attendre ; mais celle qui me les adjuge est la plus sainte de toutes : elle est gravée sur le cœur de tous les honnêtes gens, sur les vôtres, ô sages magistrats ! et vous savez ce que la sainteté de votre ministère exige de vous en pareil cas.

Quant aux dommages et intérêts que je demande, et dont j’ai depuis longtemps indiqué le noble emploi, en les considérant comme la moindre peine qui puisse être infligée à tant d’accusations injurieuses, ils doivent se mesurer, non sur la fortune ou l’état de l’offensé, mais toujours sur ceux de l’offenseur : autrement il n’y a pas d’homme riche ou puissant qui ne pût vexer impunément toutes les victimes qu’il voudrait se choisir dans les rangs inférieurs ; et le tribunal qui n’arracherait au riche offenseur qu’une légère portion de son superflu, manquant le but de la loi, ne satisferait point l’offensé, qui non-seulement en espère justice, mais qui se repose entièrement sur vous, ô magistrats, du soin d’une vengeance dont il s’est si longtemps interdit la douceur à lui-même.

J’ai tout dit, monsieur le comte : aussi libre, aussi franc dans mes défenses que vous êtes vague, enveloppé dans les vôtres, je n’ai rien dissimulé : j’ai tout dit. Composé trop rapidement, si ce mémoire est tumultueux, s’il manque de grâce et n’est pas assez fait, on verra bien qu’il sort tout bouillant de ma poitrine, et que mon ressentiment l’a fondu d’un seul jet. Mais qu’importe le talent, si l’ensemble et l’énergie des preuves imprime en mes lecteurs la ferme conviction de mon droit ? ce n’est pas entre nous un assaut d’éloquence, et le Palais n’est point l’Académie.

Rien ne doit donc arrêter aujourd’hui le jugement. Cette réponse n’exige point de réplique. Eh ! que diriez-vous sur ces nouvelles lettres que vous n’ayez déjà dit sur les autres ? Démentir et nier tout n’est-il pas votre seul mot ? Je les tiens d’avance pour démenties ? Quand vous aurez prétendu ces lettres fausses, composées après coup, incohérentes aux réponses et ne prouvant rien, ou prouvant contre moi, les inductions mal tirées, les raisonnements mauvais, l’analogie pitoyable, enfin tout ce que j’ai dit, un monceau de futilités et de mensonges, aurez-vous fait un pas de plus à vos preuves contre l’acte ?

Vous pressiez le jugement dans l’état de vos premières négations ! La négation totale ici ne fera qu’unir mes secondes preuves aux premières, sans rien changer à la question soumise au parlement (la validité d’un acte libre, et fait entre majeurs).

N’arrêtez donc plus notre arrêt, ou changez de système une huitième fois, et, voyant votre cause encore entraînée au civil, inscrivez-vous en faux au criminel ! Mais tout cela n’empêchera pas qu’on n’appelle de son vrai nom l’horrible singerie de toujours presser le jugement lorsque je ne dis mot, pour le renvoyer à cent ans aussitôt que je parle, et que j’appuie mes preuves par des preuves nouvelles.

J’avais résolu de m’en tenir aux anciennes, et de ne plus dire un mot : je m’étais imposé la loi de garder ce ménagement pour vous, lorsque trois mille exemplaires d’injures répandues de nouveau contre moi, dans la Provence, ont allumé mon sang tout à coup : j’ai repris la plume et je ne l’ai plus quittée. Mourez donc maintenant de honte et de chagrin, injurieux adversaire ! et cherchez qui vous plaigne après m’avoir tant provoqué !

Ce ne sont point ici des allégations dénuées de preuves, des lettres anonymes, des articles de gazettes, des menées sourdes, intrigues de sociétés, des visites en grand uniforme, de petits propos à l’oreille, des calomnies répandues, et toutes les ruses que vous mettez en œuvre pour augmenter vos partisans.

Toujours nos différents caractères se sont peints dans nos différents procédés. Grand homme de guerre et de calcul au Palais, vous n’y faites que trop bien la guerre de chicane ! Ainsi qu’un général a toujours un aide de camp avec lui, vous n’arrivez nulle part sans le vrai Chatillon dans votre chaise ; et, pendant qu’il court les études, pique les clercs, galope les huissiers, dicte et hâte les exploits, répandu dans la place, vous veillez, vous rôdez, vous glissez, vous calomniez, et partout vous minez et contre-minez. Puis, bien et prudemment escorté, vous n’avancez à l’ennemi que sous la contrescarpe ou le chemin couvert. Et moi, semblable au Tartare, à l’ancien Scythe un peu farouche, attaquant toujours dans la plaine, une arme légère à la main, je combats nu, seul, à découvert ; et lorsque mon coup siffle et part, échappé d’un bras vigoureux, s’il perce l’adversaire, on sait toujours qui l’a lancé, car j’écris sur mon javelot :

Caron de Beaumarchais.


LE TARTARE À LA LÉGION
Brûler n’est pas répondre.


Combien êtes-vous, messieurs, à m’attaquer, à former, à présenter, à signifier des requêtes en lacération et brûlure contre mes défenses légitimes ? Quatre, cinq, dix, dix, une légion ! Comptons.