Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/512

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j’eus enfin le pouvoir de l’écrire ! Si je ne puis la transcrire ici, je supplie au moins mes lecteurs de se procurer ce troisième mémoire Goëzman, et commencer à lire (page 283) à ces mots : « Changeons de style. Depuis que j’écris, la main me tremble toutes les fois, etc. » Ils connaîtront mon ennemi.

Au lieu donc de passer le temps alors à me faire cette abomination sur l’attestation de probité que les princesses m’avaient donnée, que ne l’employiez-vous à me reprocher l’infamie de mon mémoire Bidault sur le cachet apposé dont je vous accusais ? Si vous aviez prouvé que le méchant, que le calomniateur entre nous deux était moi, j’étais perdu, et vous gagniez votre procès. Le contraire arriva, parce que votre intrigue sur l’attestation des princesses, et votre silence sur mon reproche du cachet, vous démasquèrent absolument ; et c’est ma première preuve contre nous.

Après le jugement des requêtes de l’hôtel, nous passâmes par appel à la commission, où vous traînâtes, comme je l’ai dit, les plaidoyers et les écritures pendant un an ; mais à la fin cependant Caillard replaida, Caillard récrivit, Caillard réinvectiva, Caillard traduisit, dans le nouveau mémoire qu’il fit pour la cause d’appel, exactement les phrases et les mots de son mémoire aux requêtes de l’hôtel sur ce même billet du 5 avril ; mais Caillard, ayant été relancé par Me Bidault sur le cachet apposé, s’arrêta court au milieu des reproches qu’il copiait mot à mot sur son billet dans son ancien mémoire ; et le vif, l’important reproche du mot Beaumarchais, écrit par M. Duverney, et couvert par moi d’une cire à cacheter frauduleuse, resta net au bout de la plume de Caillard.

Était-ce oubli ! fut-ce confusion ? À votre manière de me plaider, le premier n’est pas vraisemblable. Donc Caillard, touché des ménagements que son confrère avait gardés pour lui sur cette espièglerie avérée, à laquelle il avait pu donner lieu, du moins par sa confiance en vous, n’osa pas le provoquer de nouveau à la lui reprocher plus vertement ; et c’est ma seconde preuve contre vous : car les deux mémoires de Caillard sont enfin au procès, et j’ai fait remarquer aux magistrats dans l’instruction, à la page 28 du second de ces mémoires, la réticence et le prudent silence de Caillard, qui s’arrêta court à l’historique du cachet en copiant la page de son premier mémoire, dans lequel ce reproche était si tranchant.

Mais, en vous accordant que cette fois encore le silence de Caillard fût un oubli, nous convenons, vous et moi, qu’un second mémoire, écrit par Me Falconnet, mon avocat, releva de nouveau la fourberie du cachet appliqué, plus amèrement que Me Bidault ne l’avait fait. Voici ce qu’il vous en dit (p. 20 et 21 de son précis à la commission) :

« Il y a néanmoins eu quelque chose de plus sérieux dans cette dernière partie de ma cause. J'avais confié toutes ces lettres avec leurs réponses à la partie adverse. Dans une de ces lettres, le sieur Duverney me marque : Voilà notre compte signé. Je ne doute pas que cette dernière phrase ne fit la plus grande peine au sieur légataire : aussi a-t-on fait subir toutes sortes d’épreuves au malheureux billet, jusqu’à celle du feu, dont il porte encore les marques. Me de Junquière, mon procureur, pour coter cette pièce, avait écrit mon nom dessus : on a imaginé de dire que ce nom était de la main du sieur Duverney. Heureusement Me de Junquière a levé facilement tous les doutes qu’on pouvait avoir sur ce sujet dans le premier tribunal, en écrivant, sous les yeux de M. le rapporteur, plusieurs fois mon nom du même caractère[1]. Mais il n’en est pas moins vrai que cette petite infidélité, de quelque part qu’elle vienne, est peu délicate, d’autant plus qu’elle est gratuite : car que ce soit en réponse ou autrement que le sieur Duverney ait écrit voilà notre compte signé, il l’a écrit, et cela est suffisant. Si le sieur comte de la Blache, qui m’a tant maltraité sans en avoir le moindre sujet, pouvait me faire un semblable reproche, que ne me dirait-il pas, et que n’aurait-il pas raison de me dire ? Je veux lui donner l’exemple de la modération, tout outragé que je suis. »

Qu’avez-vous répondu à ce reproche amer de Me Falconnet, qui de nouveau constatait le fait et la confusion que vous aviez reçue aux requêtes de l’hôtel ? Nous convenons, vous et moi, que vous n’avez rien répondu ; rien, monsieur le comte, absolument rien : car il ne faut plus biaiser ici. Le temps ne vous manqua cependant pas alors : entre mon mémoire Falconnet et le rapport de votre ami Goëzman, il se passa dix jours, et dix mortels jours ! À la vérité, vous aviez autre chose à faire alors : car la porte de M. Goëzman vous était ouverte, pendant qu’elle m’était fermée, et vous couriez au plus solide, au plus pressé. Nous convenons encore de cela, vous et moi ; et c’est ma troisième preuve.

Quand nous avons plaidé depuis par écrit au conseil, et que vous avez accablé ce pauvre billet du 5 avril de tous vos reproches amers sous la plume de Me Mariette, pourquoi donc avez-vous absolument laissé de côté celui du cachet apposé sur mon nom ? Pourquoi ne m’avez-vous pas au moins reproché alors la mauvaise foi de mes imputations à cet égard, dans mes deux mémoires Bidault et Falconnet ? Était-ce une circonstance à négliger ? Si vous ne vouliez plus user de l’immense avantage que vous donnait sur moi la friponnerie du cachet, bien prouvée, ne deviez-vous

  1. « Comment le sieur comte de la Blache peut-il jeter des soupçons sur la signature du sieur Duverney, lui qui la voit où elle n’est pas, et qui la révoque en doute où elle est ? » Voyez le grand mémoire.