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femme avec le sieur Daudet. Quels étaient les motifs d’une aussi lâche conduite ? On va les voir. C’est toujours lui qui va parler, car c’est lui seul qui doit me venger de lui. Ses lettres, opposées à son libelle, ne laisseront rien à désirer. Il vous a dit (page 8) :

« D’après une assurance si positive » (celle que lui avait donnée sa jeune épouse d’avoir de l’éloignement pour l’homme qu’il lui présentait), « je ne cherchai point à éloigner le sieur Daudet de chez moi ; il y vint comme auparavant. » (N’oubliez pas que tout ceci précède le voyage à Spa, dont nous avons extrait des lettres.) « Il y vint comme auparavant. Je lui rendis même quelques services, en considération de la protection très-publique dont M. le prince de Montbarrey daignait l’honorer. »

Ainsi, monsieur, vous receviez chez vous l’homme le plus dangereux pour votre honneur ; vous lui rendiez service en considération de la protection publique dont un ministre l’honorait. Mais ce ministre vous en priait-il ? ou vos relations avec lui étaient-elles assez impérieuses pour que, malgré vos répugnances, il vous fût impossible de lui refuser la demande qu’il vous en avait sans doute fait faire ?

Sachons, monsieur, ce qui en est. Vos lettres de Spa, écrites à cet homme accusé, nous l’apprendront. Voyons surtout comment vous lui rendiez service, et quels services vous lui rendiez.

Toujours la même adresse aux lettres, et toujours timbrées de la poste.


À M. Daudet de Jossan, etc.
« Spa, le 19 juillet 1780.

« Je vous suis obligé, mon cher ami, de m’avoir donné des nouvelles de ce qui s’est passé depuis mon départ, etc. » (Ici des détails oiseux) « Ce que vous me dites de la situation des choses, relativement à notre spéculation sur la place de trésorier de la M…, me fait plaisir, et est fait pour donner des espérances, de même que ce que d’Erv… vous a dit sur mon compte, quoique je devais m’y attendre ; il ne faut pourtant pas trop se fier là-dessus dans ce monde. Il est encore bon de vous observer que ledit sieur a besoin d’être talonné, qu’il n’est pas bien chaud, et qu’il se rend facile ni aux objections qu’on lui fait ; et que, se laissant aller aux circonstances, il attribue au hasard ce qu’il aurait pu obtenir par la moindre activité et persévérance. »

(Pardon, lecteur, mais je n’y change rien. Ceci n’est pas écrit du style hypocrite et traînant du libelle : c’est du Kornman tout pur.)

« Cette place est tout fait à ma convenance, et serait d’autant plus agréable pour moi que, me mettant en relation avec le département de la guerre, je serais à portée de faire connaître au ministre que je puis être utile dans d’autres opérations, où il n’est quelquefois pas indifférent de pouvoir se confier à des gens honnêtes, et de la discrétion desquels on est entièrement persuadé, etc.

« Vous avez bien fait, mon cher, d’envoyer le mandat pour madame de… à notre caisse : tout ce qui sera présenté de sa part et de la vôtre sera exactement acquitté, etc.

« Signé Kornman. »

Maintenant vous connaissez, lecteur, l’homme, le motif et les moyens ; vous voyez comment il rendait service au corrupteur de sa femme, en considération d’un ministre auprès duquel il n’espérait pourtant s’insinuer que par ce même corrupteur. Rien ne lui coûtait, je vous jure, pour arriver à se saisir d’une caisse ; mais vous n’êtes pas à la fin. Lisez la suite.

Même adresse que dessus.


À M. Daudet de Jossan, etc.
« Spa, le 29 juillet 1780.

« Je vous suis obligé, monsieur et cher ami, du détail que vous me donnez du souper de Bend…, de l’entrevue de mon frère et de sa femme avec la mienne ; les négociateurs de ce raccommodement ne me paraissent pas bien sorciers, etc. » (Je n’écris ces phrases aimables que pour montrer l’intimité.) « À l’égard des vingt-cinq mille livres que vous voulez me charger de remettre en billets de caisse, pendant votre absence, à M. le prince de Montbarrey, pour acquitter pareille somme qu’il a avancée à M. le baron Wirch, c’est une excellente idée, et je vous en suis obligé. Je pense que le temps de la quinzaine dont vous me parlez » (apparemment pour acquitter le mandat) « ne sera pas si strict pour que j’aie le temps d’arriver. Vous voudrez me mettre, dans ce cas, par écrit ce que je dois faire dans cette occasion. » (Ce vertueux mari, messieurs, qui n’obligeait le prétendu galant qu’en considération de la protection qu’un ministre lui accordait, le voilà aux genoux du séducteur de sa femme, lui demandant des leçons, des préceptes, pour s’insinuer dans les affaires du ministre !)

« Il serait peut-être possible qu’elle » (cette occasion) « me procurât celle de glisser deux mots de mon projet, qui est que le ministre devrait me faire son banquier particulier, ou avoir sa caisse chez moi. » (Cet homme, lecteur, est bien possédé du démon des caisses ! Il lui en faut une absolument, car la sienne est en mauvais ordre ! caisse de la Marine ! caisse de l’École militaire ! caisse du ministre ! caisse des princes ! caisse des Quinze-Vingts ! Vous verrez, vous verrez ! Mais reprenons sa lettre.)

« Il serait peut-être possible que cette occasion me procurât celle de glisser deux mots de mon projet, qui est que le ministre devrait me faire son banquier particulier, ou avoir sa caisse chez moi. Il y trouverait l’avantage que son argent