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VIE DE BEAUMARCHAIS.

Ce n’est pas tout. Voici même le plus grave. Profitant du bruit que ce mandement avait fait autour de son Voltaire, qui par lui-même en faisait assez peu, ne s’était-il pas empressé de prendre ses mesures pour que la moitié au moins de l’édition entrât d’un seul coup en fraude[1] ! Vous voyez qu’en somme les raisons ne manquaient pas pour qu’un pouvoir quelque peu chatouilleux, et disposant d’ailleurs de l’arbitraire le mieux armé, se crût permis d’en finir par une correction avec la continuelle gêne que lui causait cette personnalité remuante et taquine.

La correction ne fut pas bien rude. Sauf le fait du Voltaire entré en fraude, il n’y avait guère dans ce qu’elle devait punir que des gamineries. Elle s’en ressentit : un mot du roi écrit, à sa table de jeu, sur le dos d’une carte à jouer, servit de lettre de cachet[2] ; et au lieu de la Bastille où l’on mettait les coupables sérieux, c’est à Saint-Lazare, prison des fils prodigues, maison d’arrêt pour les jeunes drôles pris en flagrant délit d’escapade, que le soir du 8 mars 1785, son ami, le commissaire Chenu, qui vint l’arrêter rue Vieille-du-Temple où il logeait encore, fut chargé de le conduire[3]. « C’est, disent les Mémoires secrets[4], une espiéglerie du gouvernement qui a voulu le corriger en riant, et par cette épigramme en action, le traiter à sa manière. » Il ne pouvait que comprendre où le public avait si bien compris.

Aussi, dit-on, pleura-t-il en enfant de se voir puni comme un enfant. Six jours après, il fut mis dehors. La leçon semblait suffisante, et l’on avait eu égard, à ce que disaient ses amis, au préjudice que cette réclusion portait à ses affaires[5] : il courait risque, par exemple, de ne pouvoir payer une lettre de change de 300,000 écus, prête à échoir[6].

Il fit mine de vouloir rester, pour protester ; et, une fois libre, pour continuer la protestation il s’enferma, jurant qu’on ne le reverrait dans Paris qu’après une explication catégorique des motifs de la rigueur qui l’avait frappe. C’est alors qu’il écrivit en ce sens, et sous forme de lettre, son long Mémoire au roi, publié ici plus loin pour la première fois. Breteuil, Vaudreuil et surtout Calonne, qui avait besoin de lui, s’entremirent pour que le roi en prît connaissance. Louis XVI le lut, s’en montra satisfait, et le lui fit dire par le ministre[7]. Il voulut plus : on lui accorda de publier son Mariage de Figaro avec la préface[8]. Il demanda encore : il lui fallait quelque preuve bien évidente que la confiance du roi lui était rendue. On lui donna alors pour la forme, et comme simple distinction, car elle n’était que de cent livres, une pension sur la cassette du roi[9]. Ainsi, on lui cédait sur tout : le châtié, se posant en victime pour une mesure au fond justifiable, se faisait presque demander pardon ! Telle était la façon de gouverner sous ce règne sans force où, pour un seul pas sur le chemin de la résistance, on en faisait dix sur celui des concessions. Aussi comprend-on sans peine qu’il soit allé ainsi à reculons jusqu’au gouffre.

Avec Beaumarchais on en revint aux avances, presque aux caresses. Ne lui fit-on pas la faveur, en l’appelant, dit-on, lui-même aux répétitions, de donner une représentation du Barbier de Séville à Trianon, avec le comte d’Artois dans le rôle de Figaro et la reine dans celui de Rosine[10] !

Il se trouvait à ce même moment dans les embarras d’une autre œuvre, son énorme opéra de Tarare, dont la musique, promise par Gluck, avait définitivement été écrite par Salieri, et pour lequel il avait arrangé en libretto un conte d’Hamilton, Fleur d’Épine, doublé du

  1. Mémoires secrets, t. XXVIII, p. 182-183.
  2. Arnault, Souvenirs d’un Sexagénaire, t. I, p. 128-130.
  3. M. de Marescot, dans sa notice, p. XXVII, a publié l’ordre d’arrestation, qu’il avait retrouvé aux Archives.
  4. Mémoires secrets, t. XXVIII, p. 217.
  5. Id., p. 229.
  6. Correspondance secrète, t. XVII, p. 395.
  7. Id., t. XVIII, p. 309.
  8. Mémoires secrets, t. XXVIII, p. 292.
  9. Id., t. XXIX, p. 217.
  10. Id., ibid.