Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/647

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prisonnement, ou ma sortie inopinée ? Je ne le savais pas encore.

Nous nous retirâmes, avec parole pour le lendemain à neuf heures. Nous nous rendons au comité de surveillance de la mairie, où l’on me donne, avec beaucoup de grâce, une attestation de civisme dont je dus être satisfait. J’en avais eu déjà une première. Je convins avec ces messieurs que je la rapporterais, et que de deux on en ferait une seule, que je pourrais faire afficher.

Le lendemain, un des municipaux vient me prendre chez moi, me mène chez M. Lebrun à neuf heures. Il était sorti, nous dit-on. Nous revînmes à midi ; il n’était pas rentré. Nous revînmes à trois heures ; enfin il nous reçut. J’avais appris par mes intelligences qu’il avait écrit à M. de Maulde de 1 1 ntr Bfi n vite à Paris, mais il ne m’en avait rien dit. Peut-être pensent-ils, disais-je, qu’ils tireront de lui quelques notions propres à me nuire, et que c’est là l’objet de son voyage î

En m’expliquant avec M. Lebrun devant notre municipal, je dis avec un peu de ruse que dans mon mémoire à l’Assemblée nationale je la priais de mander M. de Maulde pour rendre témoignage de mes puissants efforts, aidés des siens, sur l’extradition des fusils. Il me répondit un peu vite : Épargnez-vous cette peine ! il sera ici dans deux jours.

« Quoi ! monsieur, lui dis-je, il revient ? Cette nouvelle me comble de joie. Il rendra bon compte de nous à l’Assemblée nationale, et ramènera mon la Hogue ! » Son air ministériel lui revint à ces mots ; et, coupant sur l’explication, il nous quitta, puis nous fit dire qu’on l’enlevait pour terminer un objet très-pressé.

Le municipal, étonné, me dit : « Je ne reviendrai plus ici perdre le temps en courses vaines ; on enverra qui l’on voudra. — Voilà, depuis cinq mois, lui dis-je, la vie que l’on me fait mener : je dévore tout sans me plaindre, parce que c’est une affaire qui intéresse la nation. »

Le soir même, 29 août, j’écrivis à M. Lebrun : « Au nom de la patrie en danger, de tout ce que je vois et entends, je supplie M. Lebrun de presser le moment où nous terminerons l’affaire des fusils de Hollande.

« Ma justification ? je la suspends. Ma sûreté ? je la dédaigne. Les calomnies ? je les méprise. Mais, au nom du salut public, ne perdons pas un moment de plus ! L’ennemi est à nos portes, et mon cœur saigne, non des horreurs que l’on m’a faites, mais de celles qui nous menacent.

« La nuit, le jour, mes travaux et mon temps, mes facultés, toutes mes forces, je les présente h la patrie : j’attends les ordres de M. Lebrun, et lui offre l’hommage d’un bon citoyen.

« Signé Beaumarchais. •>

Point de réponse. La nuit suivante, à deux heures du matin, mes gens vinrent tout effrayés médire que des hommes armés demandaient Pou 1 des grilles. « Ah ! laissez-les entrer, leur suis dévoué, je ne résiste à rien. » Nous n’en eûmes que la frayeur. C’étaient tous mes fusils de chasse que l’on venait me demander. « Messieurs, leur dis-je, quelle volupté trouvez-vous à choisir ces heures nocturnes pour vous rendre ainsi redoutables ? Quand il faut servir la nation, quelqu’un veut-il s’y refuser ? »

Je leur fis donner sept fusils précieux, à un et à deux coups, que j’avais ; ils m’assurèrent qu’on en aurait grand soin, qu’ils allaient sur-le-champ les déposer à la section. Le lendemain au soir j’y envoyai : l’on n’en avait aucune nouvelle. C’est peu de chose, me dis-je, que cette perte : c’est une centaine de louis. Mais eau : de Hollande ! ceux de Eol-J’écrivis à M. Lebrun, le soir même, cet autre --ant :

• Paris, ce 30 août 1792.

« monsieur- ! ô monsieur ! si l’incurable aveuglement jeté par le ciel sur les juifs n’a pas frappé Paris, cette nouvelle Jérusalem, comment ne peut-on rien finir sur les objets les plus intéressants pour le salut de la patrie ? Les jours composent des semaines, et les semaines font des mois, sans que nous avancions d’un pas ! Pour le seul passe-port de M. de la Hogue à renouveler au Havre pour la Hollande, treize jours se sont passés sans que j’aie encore pu ouvrir les yeux à aucun homme sur le mal qu’on fait à la France ! Un courrier est venu du Havre, et il est reparti en portant à M. de la Hogue l’ordre le plus étrange qui put se donner dans ce cas. Le voilà Finiu ? ! et l’on me demande pourquoi les soixante mille armes de Hollande ne nous arrivent pas ! et je suis forcé de répondre que si le diable s’en mêlait, il ne pourrait pas faire pis peu/ les empéch r d’an i • i .’

■ J’ai été prisonnier six jours à l’Abbaye et au secret pour ces misérables fusils ! Et je suis prisonnier chez moi, parce que j’y attends le rendez-vous que vous m’avez promis pour finir ! Je connais tous vos embarras ; mais, si nous n’y travaillons point, l’affaire n’a pas de jambes pour avancer toute seule.

« On est venu cette nuit chez moi à main armée m’arracher mes fusils de chasse, et je disais en soupirant : Hélas ! nous en avons soixante mille en Hollande ; personne ne cent rien faire pour m’aider, moi datif, n fes en arracha- : et l’on vient troubler mon repos .’

« Je suis un triste oiseau, car je n’ai qu’un ramage, qui est de dire depuis cinq mois à tous les ministres qui se succèdent : Monsieur, finissez donc l’affaire des armes qui sont en Hollande ! Un vertige s’est emparé de la tête de tout le monde, chacun