Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/695

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n’être pas d’avis que si ceux qui jouent les pièces des auteurs y gagnent vingt mille livres de rentes, il faut au moins que ceux qui font la fortune des comédiens en arrachent l’exigu nécessaire.

« Je ne mets, monsieur le maréchal, aucun intérêt personnel à ma demande ; l’amour seul de la justice et des lettres me détermine. Tel homme que l’impulsion d’un beau génie eût portée re■ nouveler les chefs-d’œuvre dramatiques de nos maîtres, certain qu’il ne vivra pas trois mois du fruit des veille— <lr trois années, après eu avoir perdu cinq à l’attendre, se fait journaliste, libelliste, ou s’abâtardit dans quelque autre métier iaussi lucratif que dégradant.

N’est-ce donc pas assez, monsieur le maréchal, que les ouvrages des gens de lettres dépendent pour éclore de la fantaisie des comédiens, sans que leur chétif intérêt soit encore soumis aux calculs arbitraires de ces terribles associés ? J’aurai l’honneur de me rendre à vos ordres demain dans la matinée. Le premier avantage de cette discussion sera pour moi de vous renouveler l’assurance du très-respectueux dévouement avec lequel je suis,

« Monsieur le maréchal, votre, etc. » En effet, je me rendis, le J T juin 1777, chez M. le maréchal de Duras ; j’eus l’honneurde lui communiquer tout ce qu’on vient de lire : il parut un peu surpris de ma conduite modérée et des termes où j’en étais avec la (. idie, bien différents de ceux qu’on lui avait présentés. Mais comme la fiction n’est pas un crime dans la bouche des comédiens, je pris le parti de donner ce nom au petit déguisement dont ils avaient usé envers leurs supérieurs ; et, disposé que j’étais à faire tout ce qui pourrait plaire à un si honorable médiateur, je lui demandai ses ordres.

M. le maréchal, persuadé qu’une plus longue obscurité sur les données des comptes présentés par la Comédie aux auteurs pouvait éterniser les querelles, mais jugeant, à la conduite des comédiens, combien ils redoutaient d’entrer en éclaircissemenl à cet égard, voulut bien me proposer d’échanger la discussion de nos droits contre un plan qu’il avait dans la tête. Il ajouta qu’il croyait un nouveau code ou règlement très-nécessaire au théâtre ; et que, si je voulais entrer dans ses vues, et réunir quelques-uns des auteurs les plus sages, pour former ensemble un projet qui pût tirer les gens de lettres des chagrins d’un débat perpétuel avec les comédiens, et de mille autres entraves qui offusquent le génie, il se livrerait entièrement à cette réforme utile.

L’indiscipline ou l’indocilité des comédiens ne paraissait pas l’arrêter. M. le maréchal était même d’avis que le plus bel usage de l’autorité était de venir au secours de la raison et de la justice ; et il se promettait de déployer celle qu’il tenait du roi sur la Comédie, si elle tentait de s’opposer à la ré forme.

M. le maréchal y portail une chaleur si obligeante pour la littérature dramatique, que j’en fus vivement touché.

J’abandonnai donc mes idées pour me livrer entièremenl aux siennes, et c était bien le moins que je crusse lui devoir. Je me permis seulement de lui représenter que, les auteurs étant indépendants les uns des autres, il étail plus décent d prendre l’avis de tous, que de prétendre en soumettre une partie à l’opinion de l’autre. Il m’engagea de les assembler, de m’occuper sérieusement de ce travail avec eux, et de le lui communiquer promptement.

Le27juin, j’écrivisà tous les auteurs du Théâtre-Français la lettre circulaire qui suit : ii Une des choses, monsieur’, qui nie paraît le « plus s’opposer au progrès des lettres, est la mul-Litude de dégoûts dont les auteurs dramatiques « sont abreuvés au Théâtre-Français, parmi lesii quels relui de voir leurs intérêts toujours compromis dans la rédaction des comptes n’est pas « le moins grave à nies yeux.

« frappé longtemps de cette idée, l’amour de la ii justice et des lettre », m’a l’ail prendre enfin le . parti d’exiger personnellement des comédiens " un compte exael et rigoureux de ce qui me revienl | ■ le Barbier de Séville, la plus légère u des productions dramatiques, ;  ! la vérité ; mais •’le moindre Litre es) hou quand on ne veut qu’avoir justice.

« TVI. leinaréchal de Duras, qui veuf sincèrement ■ aussi que cette justice soi ! rendue aux gens de lettre. a eu la bonté de me faire pari d’un plan, ii et d’entrer avec moi dans des détail— très-intéii ressants pour le théâtre ; il m’a prié de les communiquer aux gens de lettres qui s’j consacrent ; i’en m ell’orçant de réunir leurs avis à ce sujet. « Je m’en suis chargé d’autant plus volontiers, d que je mettrais à la tête de mes plus doux succès " d’avoir pu contribuer à dégager le génie d’une ii seule de ces entraves.

ii Lu conséquence, monsieur, si vous voulez, me u l’aire l’honneur d’agréer ma.soupe jeudi prochain, j’espère vous convaincre, ainsi que messieurs les auteurs dramatiques à la suite desquels je m’honore de marcher, que le moindre « des gens de lettres sera en toute occasion le plus ii zélé défenseur des intérêts de ceux qui les cultivent.

i. J’ai l’honneur d’être, avec la plus haute considération, etc. »

Ces messieurs (le 3 juillet 1777) nie firent presque tous l’honneur de se rendre à mon invitation. Après leur avoir rendu compte de tout ce qui avait précédé la lettre de M. le maréchal de Duras et de ma conversation avec lui, il fut unanimement