Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/697

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Ils avaient crié contre la demande du compte : ils criaient contre le vœu d’un règlement ; ils criaient surtout contre l’assemblée des auteurs. Ils avaient eu si bon marché de chacun d’eux séparés, que ce qu’ils craignaient le plus était leur réunion : ils les voulaient bien en baguettes, et les redoutaient en faisceau.

La réponse de M. le maréchal, en date du dimanche 2 août 1777, fut telle que nous pouvions la désirer, et ne fit qu’encourager nos travaux.

« J’ai reçu, monsieur, les deux lettres que vous avez pris la peine de m’écrire. Quand vous aurez totalement fini l’ouvrage dont vous avez bien voulu vous charger, nous en conférerons ensemble, et je vous communiquerai les réflexions que je croirai devoir vous offrir. J’espère que nous viendrons à bout de terminer cette besogne, et je me ferai un grand plaisir de concourir à la satisfaction des gens de lettres, et à la vôtre en particulier : soyez-en aussi persuadé, je vous prie, que des sentiments avec lesquels je suis très-parfaitement, monsieur, votre, etc. »

Pour concourir à des vues si utiles et pour apaiser les clameurs des comédiens, nous nous hâtâmes de remettre, dès le 12 août 1777, à M. maréchal de Duras, le projet de règlement, revêtu des motifs qui en avaient fait adopter les articles.

Nous en transcrivons ici le préambule, afin qu’on soit en état de juger dans quel esprit de sagesse et de paix les gens de lettres s’occupaient du spectacle français.

Aux auteurs assemblés.

Nous, commissaires et représentants perpétuels nommés par vous, messieurs, pour travailler à la formation et rédaction d’un nouveau règlement dramatique désiré par nous tous, et qui nous a été demandé par MM. les premiers gentilshommes de la chambre ; après avoir réfléchi sur le mécontentement perpétuel qui éloigne les auteurs des comédiens et sur l’intérêt constant qui les en rapproche, nous avons pensé, messieurs, que tout moyen dur, tout règlement nouveau qui tendrait à subordonner l’un de ces corps à l’autre, irait contre le but qu’on se propose, le progrès de l’art du théâtre et la bonne intelligence entre ceux qui le cultivent : il en serait comme de ces lois mal digérées qui, contrariant la nature, finissent par tomber en désuétude ou n’ont que des effets fâcheux.

En effet, supposons que par un règlement impératif on parvînt à remettre le comédien, dont le talent est de débiter, dans un degré de subordination convenable à l’auteur qui créa l’ouvrage, en un mot, à la seconde place, il ne faut pas se dissimuler que les comédiens reprendraient bientôt la première ; et peut-être encore faudrait-il excuser de ne pas se tenir à leur place des gens dont l’unique métier est d’en sortir continuellement : d’ailleurs le désir de faire agréer un ouvrage à la lecture et de réussir à la représentation, animant tout auteur, le ramènerait naturellement à cette dépendance du comédien dont on cherche à le tirer ; et la supériorité de droit reconnue dans l’auteur, mais toujours balancée par la dépendance de fait dans laquelle il rentre aux deux moments critiques de la lecture et de la représentation, jetterait l’homme de lettres dans la succession perpétuelle de deux états très-opposés de prééminence et de dépendance : et, comme la supériorité qui n’est que de droit tend toujours à s’affaiblir lorsque la dépendance de fait va toujours en augmentant, il résulterait de ce conflit une nouvelle guerre affligeante pour l’homme de lettres, et sa rechute assurée dans l’état fâcheux qui fait l’objet de la réforme projetée.

Nous induisons en conséquence, messieurs, qu’il est à propos d’adopter, pour principe fondamental de notre travail, d’exclure du nouveau règlement toute clause qui tendrait à classer durement les comédiens, qui les humilierait et les aigrirait, sans remédier aux maux réels des auteurs, dont la division avec les comédiens est la source éternelle.

Si vous nous entendez bien, messieurs, si vous approuvez nos vues, et sentez la nécessité où se voit l’homme de lettres de caresser souvent le comédien pour l’intérêt de la gloire, essayons seulement d’opposer un intérêt aussi fort, qui tienne toujours le comédien dans l’obligation de se rendre agréable aux gens de lettres, en remplissant ses devoirs.

Ne pouvant empêcher que le triomphe et le succès des auteurs ne dépendent un peu de la bonne volonté des acteurs, faisons en sorte que l’intérêt et l’avancement des comédiens soient toujours déterminés par le suffrage et le concours d’opinion du corps des gens de lettres (avancement soumis, comme de raison, au jugement de MM. les gentilshommes de la chambre du roi, supérieurs nés des comédiens, et présidant toutes les affaires de la Comédie) : de façon que l’augmentation des parts, le passage d’une classe inférieure à la supérieure, et tout jugement tendant à l’accroissement du bien-être et de l’état de comédien, dépendent en quelque sorte du témoignage que le corps des gens de lettres rendra du talent et de la conduite théâtrale de l’acteur à ses supérieurs.

Ce moyen doux, mais plus fort que tout règlement qui classerait et blesserait les comédiens, balancerait sans cesse une dépendance de fait par une dépendance aussi de fait ; et tous les débats qu’on n’a pu jusqu’ici résoudre ou concilier s’éteindraient bientôt, de cela seul que le corps des auteurs et celui des acteurs auraient le mu-