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LETTRE XXVIII.

À M. LE COMTE DE VERGENNES.

Bordeaux, le 6 octobre 1782.

Monsieur le comte,

Le désir de me rappeler à vos bontés cède souvent à mon respect pour vos grands travaux : le ministre chargé du fardeau de l’État sans doute a peu de temps à donner aux inutilités ; mais l’hommage d’un serviteur attaché peut quelquefois servir à lui montrer que son estime et sa bienveillance ne sont pas toujours semées en terre ingrate ; et, dans le pays où vous vivez, les meilleurs cœurs ont peut-être besoin de ce doux encouragement pour ne pas se dégoûter de faire du bien aux hommes.

Depuis trois mois que je parcours nos villes de commerce maritime, pour envoyer trois frégates à nos îles, et une en Virginie, j’ai vu mourir deux de mes bons amis, hommes de mérite, et qui vous aimaient et respectaient ainsi que moi : le marquis de Voyer, aux Ormes, et Clonard le père, à Rochefort. À mesure que le jeu de la vie s’avance, le tapis reste, il est vrai ; mais les joueurs changent, et ce n’est pas une des moindres afflictions de la vieillesse que d’être obligé de toujours achever la partie avec d’autres que ceux qui la commencèrent avec nous.

En parcourant cette province, j’y vois au moins avec joie combien on est heureux de la savoir sous la protection immédiate de M. le comte de Vergennes : c’est un nom que je n’entends prononcer nulle part sans respect, éloge et bénédiction ; et ce qui ne serait rien à Paris, où l’espérance ouvre et ferme toutes les bouches à la louange, est un garant certain de l’opinion publique au fond des provinces éloignées.

J’ai vu les Bayonnais touchés aux larmes de la bonté que vous avez d’améliorer leur sort, qui certes n'est pas heureux. Mais que peut la volonté même d'un ministre vertueux contre l’inquiète avidité de la ferme générale ? C’est ici surtout que se vérifie cette cruelle remarque échappée à votre patriotisme en ma présence : que le régne de six ans est le plus grand ennemi du régne de cent ans.

Oui, le bail des fermiers est le seul roi de France.

Dans l’affaire actuelle de la franchise de Bayonne, ils ont eu si grand soin de r ■- rrer el re treindre à un seul défilé le bien que vous pro ince, qu enfin la ■■■ ographic du fisc lli de la faveur en défaut. La franchise de Bayonne sera de nul effet, ou à peu de chose prés, pour le pays de labour.

irtie absolument en friche, surtoutesnos côtes maritimes, esl celle qui regarde nos matelots. Toul j est, toul s’y fail au rebours du bon sec 1 1 manière de s’en procurer, de les garder, de les payer, de les renvoyer, d’en recevoir du commerce et de lui en rendre, est un chef-d’œuvre d’ineptie : aussi tout va... Mais je m’an n ’ -I pas pour critiquer que j’écris à M. de Vergennes : c’esl pour lui parler seulement du bien qu’il fait, de celui qu’il peut faire, et surtout pour rappeler à votre souvenir le désin l’inviolable et très-respectueux attachement avec lequel je suis

Votre, etc.

LETTRE XXIX.

AU MÊME.

Bordeaux, le 19 novembre 1782.

Monsieur le comte,

Un moment de votre attention sur le détail qui suit ne sera pas toul à fait perdu. J’aime à marcher devant vous comme David allait devant le Seigneur, avec un esprit droit et un cœur pur. Je vous dois donc un compte exact et simpl qui s’est passé depuis dix jours à Bon M. le comte d’Estaing a cru faire sa cour à votre circonspection, en s’en remettant à M. de Castries du soin de vous communiquer son détar fais un devoir de vous adresser le mien pour vous seul, si vous le permettez.

Averti du passage de M. le comte d’Estaing par lui-même, j’ai couru de l’autre côtéde laDordogne à sa rencontre lui offrir mes faibles services, et le prévenir que, malgré mes efforts constai rendre les Bordelais moins bruyants dansl’enthousiasme qu’ils lui portent, sa modestie aurait beaucoup à souffrir de la manière éclatante dont ils entendaient l’exprimer. Son premier soi alors de s’arrêter à Cubzac, pour n’arrivi deaux qu’à nuit close ; et sa seconde précaution de ne point aller loger au gouvernement où ou l’attendait, et de venir s’enfermer dans ui vilaine chambre de l’auberge où j’en oci autre depuis trois mois. Son troisième soin a été de refuser toute espèce d’invitations el de fêtes dont on voulait l’accabler, et de se priver même d’aller au spectacle dans la plus belle salle du monde, pour échapper aux vaines acclamations dont il n’a que trop été poursuivi dans tontes les rues que sa voiture a parcourues. Il m’a fait l’honneur de me confier une partie de ses vues, et celui de me demander nui pour le succès de sa mission relative à la ville de Bordeaux. La seule annonce d’un nouvel établissement maritime aussi avantageux au commerce était sans doute un motif assez puissanf | citer l’émulation générale ; mais, sans I siasmequeje voyais pour M. le comte d’1 il n’y aurait eu, selon moi, nul succès à pri mais cet enthousiasme, bien que fragile, ; i assez bon instrument dans les mains de c iu.x qui savent en tirer parti.

Au lieu donc de le laisser s’user eu violons,