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EUGÉNIE, ACTE III, SCÈNE I.


c’est une chose publique, et que tout Londres sait.

eugénie, à part.

Dieux ! où me cacher ?

madame murer.

Je vais gager qu’il n’y a pas un mot de vrai à tout cela.

le capitaine.

Quoi, sérieusement ? Dès que madame nie les faits, je n’ai plus rien à dire.

le baron.

Il est vrai, capitaine, qu’il s’en est beaucoup défendu tantôt.

le capitaine.

Mais moi qui passe ma vie avec son oncle ! moi qu’on a consulté sur tout ! ce sera comme il vous plaira, au reste. Ainsi donc les livrées faites, les carrosses et les diamants achetés, l’hôtel meublé, les articles signés, sont autant de chimères.

eugénie, à part.

Ah ! malheureuse !

le baron.

Mais, ma sœur, cela me paraît assez positif : qu’avez-vous à répondre ?

madame murer.

Que monsieur a rêvé tout ce qu’il dit : parce que je sais de très-bonne part, moi, que le comte a d’autres engagements.

le capitaine.

Ah ! oui. Quelque illustre infortunée dont il aura ajouté la conquête à la liste nombreuse de ses bonnes fortunes. Nous connaissons l’homme. Je me souviens effectivement d’avoir entendu dire qu’un goût provincial l’avait tenu quelque temps éloigné de la capitale.

madame murer, dédaigneusement.

Un goût provincial ?

le baron, riant.

Quelque jeune innocente à qui il aura fait faire des découvertes, et dont il s’est amusé apparemment ?

le capitaine.

Voilà tout.

le baron, d’un air content.

C’est bon, c’est bon. Je ne suis pas fâché que de temps en temps une pauvre abandonnée serve d’exemple aux autres, et tienne un peu ces demoiselles en respect devant les suites de leurs petites passions. Et les père et mère ! moi, c’est cela qui me réjouit.

eugénie, à part.

Je ne puis plus soutenir le trouble où je suis.

le capitaine.

Mademoiselle me paraît incommodée.

le baron.

Ma fille ?… qu’as-tu donc, ma chère enfant ?

eugénie, tremblante.

Je ne me sens pas bien, mon père.

madame murer.

Je vous l’avais dit aussi, ma chère nièce ; nous devions nous retirer. Venez, laissons ces messieurs se raconter leurs merveilleuses anecdotes.



Scène XIII


le BARON, le CAPITAINE.
le baron.

Pardon, capitaine.

le capitaine, lui prenant la main.

Adieu, baron : je prends bien de la part…

le baron, le ramenant.

Ah çà, mon fils, je te prie : comment dis-tu qu’il se fait appeler ?

le capitaine.

Le chevalier Campley.

le baron.

Campley ? Si je n’écris pas ce nom-là, je ne m’en souviendrai jamais… C’est que j’ai là une lettre qui menace d’assassins… Il ne va que la nuit… seul… Tout cela est inquiétant.

le capitaine.

J’irai demain soir au Parc, et si je le trouve, je lui sers moi-même d’escorte jusqu’ici.

le baron.

À merveille.

(Ils sortent par la porte du vestibule.)




JEU D’ENTR’ACTE

Betsy sort de la chambre d’Eugénie, ouvre une malle, et en tire plusieurs robes l’une après l’autre, qu’elle secoue, qu’elle déplisse, et qu’elle étend sur le sopha du fond du salon. Elle ôte ensuite de la malle quelques ajustements et un chapeau galant de sa maîtresse, qu’elle s’essaye avec complaisance devant une glace, après avoir regardé si personne ne peut la voir. Elle se met à genoux devant une seconde malle, et l’ouvre pour en tirer de nouvelles hardes. Au milieu de ce travail Drink et Robert entrent en se disputant : c’est là l’instant ou l’orchestre doit cesser de jouer, et où l’acte commence.


ACTE TROISIÈME



Scène I


BETSY, DRINK, ROBERT.
drink, à Robert, en disputant.

Et moi, je te prie de te mêler de tes affaires. Quand je refuse la porte à quelqu’un, es-tu fait pour l’annoncer ?

robert.

Mais c’est que vous ignorez que le capitaine Cowerly est l’intime ami de monsieur.

drink, plus haut, en colère.

L’intime ami du diable. Est-ce à toi d’entrer dans les raisons ? Es-tu valet de chambre ici ?