Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/181

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qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j’annonce un écrit périodique, et, croyant n’aller sur les brisées d’aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s’élever contre moi mille pauvres diables à la feuille, on me supprime, et me voilà derechef sans emploi ! — Le désespoir m’allait saisir ; on pense à moi pour une place, mais par malheur j’y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint. Il ne me restait plus qu’à voler ; je me fais banquier de pharaon : alors, bonnes gens ! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m’ouvrent poliment leur maison, en retenant pour elles les trois quarts du profit. J’aurais bien pu me remonter ; je commençais même à comprendre que, pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. Pour le coup je quittais le monde, et vingt brasses d’eau m’en allaient séparer, lorsqu’un dieu bienfaisant m’appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse et mon cuir anglais ; puis, laissant la fumée aux sots qui s’en nourrissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci. Un grand seigneur passe à Séville ; il me reconnaît, je le marie ; et pour prix d’avoir eu par mes soins son épouse, il veut intercepter la mienne ! Intrigue, orage à ce sujet. Prêt à tomber dans un abîme, au moment d’épouser ma mère, mes parents m’arrivent à la file. (Il se lève en s’échauffant.) On se débat, c’est vous, c’est lui, c’est moi, c’est toi, non, ce n’est pas nous ; eh ! mais qui donc ? (Il retombe assis, ) Ô bizarre suite d’événements ! Comment cela m’est-il arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? Qui les a fixées sur ma tête ? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j’en sortirai sans le vouloir, je l’ai jonchée d’autant de fleurs que ma gaieté me l’a permis : encore je dis ma gaieté sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni même quel est ce moi dont je m’occupe : un assemblage informe de parties inconnues ; puis un chétif être imbécile ; un petit animal folâtre ; un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous les métiers pour vivre ; maître ici, valet là, selon qu’il plaît à la fortune ; ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux… avec délices ! orateur selon le danger ; poète par délassement ; musicien par occasion ; amoureux par folles bouffées, j’ai tout vu, tout fait, tout usé. Puis l’illusion s’est détruite et, trop désabusé… Désabusé… ! Suzon, Suzon, Suzon ! que tu me donnes de tourments !… J’entends marcher… on vient. Voici l’instant de la crise. (Il se retire près de la première coulisse à sa droite.)

Scène IV

Figaro, La Comtesse avec les habits de Suzon, Suzanne avec ceux de la Comtesse, Marceline.

Suzanne, bas à la Comtesse. Oui, Marceline m’a dit que Figaro y serait.

Marceline Il y est aussi ; baisse la voix.

Suzanne Ainsi l’un nous écoute, et l’autre va venir me chercher. Commençons.

Marceline Pour n’en pas perdre un mot, je vais me cacher dans le pavillon. (Elle entre dans le pavillon où est entrée Fanchette.)

Scène V

Figaro, La Comtesse, Suzanne.

Suzanne, haut. Madame tremble ! Est-ce qu’elle aurait froid ?

La Comtesse, haut. La soirée est humide, je vais me retirer.

Suzanne, haut. Si madame n’avait pas besoin de moi, je prendrais l’air un moment sous ces arbres.

La Comtesse, haut. C’est le serein que tu prendras.

Suzanne, haut. J’y suis toute faite.

Figaro, à part. Ah oui, le serein ! (Suzanne se retire près de la coulisse, du côté opposé à Figaro.)

Scène VI Figaro, Chérubin, Le Comte, La Comtesse, Suzanne. (Figaro et Suzanne retirés de chaque côté sur le devant.)

Chérubin, en habit d’officier, arrive en chantant gaiement la reprise de l’air de la romance. La, la, la, etc. J’avais une marraine, Que toujours adorai.

La Comtesse, à part. Le petit page !

Chérubin, s’arrête. On se promène ici ; gagnons vite mon asile, où la petite Fanchette… C’est une femme !

La Comtesse, écoute.