Page:Beaumarchais - Mémoires, tome1.djvu/11

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le théâtre national un nouveau type et le malheur de s’incarner si profondément dans ce type original, que la renommée de l’homme en souffre encore aujourd’hui. Si le jugement de la postérité n’a pas été en tout favorable à Beaumarchais, on en saurait contester l’immense part qu’il a prise à dégager des brouillards du passé l’aurore d’un nouvel ordre de choses auquel nous avons dû les précieuses conquêtes que le temps ne peut manquer d’étendre encore. Il est donc de notre devoir de passer succinctement en revue les diverses phases de l’existence tourmentée et remuante de cet écrivain de second ordre, qui, loin de s’abstraire du milieu social, comme le faisaient de longue date ses prédécesseurs, a pu infuser du sang jeune dans le corps appauvri de l’ancien art littéraire de la France, ce qui n’a pas été à coup sûr œuvre petite et inutile.

Beaumarchais est né à Paris, le 24 janvier 1732. Le jeune Caron (le seul nom qu’il ait eu réellement le droit de porter) appliqua ses premières aptitudes à l’art de l’horlogerie ; à l’âge de vingt et un ans, il fut reconnu par l’Académie des sciences inventeur d’un nouvel échappement qui ajoutait aux progrès de sa profession et le plaçait en première ligne parmi les artistes qui l’honoraient. Grimm ajoute à ce propos : « Il valait mieux faire de bonnes montres qu’acheter une charge à la cour, faire le fendant et composer de mauvaises pièces pour Paris. » Il joignait à cette facilité de conception toute spéciale nombre d’autres aptitudes qui annonçaient en germe l’homme multiple dont nous avons parlé. Passionné pour la musique, et surtout pour la harpe, dont il avait perfectionné le mécanisme, il dut à ce talent secondaire la singulière faveur d’être appelé à