Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/37

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que les vieillards étaient rejetés des affaires… des soldats sans expérience triomphaient des bandes les plus aguerries ; des généraux, qui sortaient de l’école, renversaient de puissants empires ;… le règne des peuples était solennellement annoncé ; et jamais on n’avait vu les individualités si fortes et si glorieuses… chacun se précipitait dans une arène que la fortune paraissait ouvrir à tous…

J’étais enfant lorsque ces événements se passaient. Un spectacle de misère et de grandeur, de ruine et de création, frappa d’abord mes jeunes regards ; des exclamations de surprise, des cris d’admiration, les retentissements de l’airain annonçant des victoires, furent les premiers bruits qui arrivèrent à mon oreille.

J’habitais une demeure écartée des villes ; j’y grandissais sous le toit paternel, au sein des affections les plus tendres. Le tumulte qui régnait en Europe ne pénétrait que de loin en loin dans cet asile paisible du vrai bonheur et de toutes les vertus ; la vie s’y écoulait douce, mais uniforme ; de temps en temps seulement, un journal, la lettre d’un ami, un soldat rentrant dans ses foyers, venaient tout-à-coup jeter comme une lumière subite sur notre horizon, et nous apprendre que des trônes étaient détruits ou élevés.

Quand ces bruits rares parvenaient jusqu’à moi, ils me plongeaient dans de longs étonnements ; ils m’apprenaient que la vie, si monotone autour de nous, avait ailleurs des scènes brillantes ; alors je rêvais de gloire, de puissance, de grandeur ! la tranquillité de nos existences me paraissait un accident au milieu du mouvement universel.

Il se créait peu à peu au fond de mon âme un monde idéal, enfant de mes rêveries, de mes illusions et de mes impatients désirs, monde gigantesque, que ne pouvait égaler le monde réel, quelque grand, quelque extraordinaire qu’il fût alors… Si j’eusse été placé près de la scène, peut-être eussé-je aperçu les ombres aussi bien que les clartés ; voyant agir sous mes yeux les hommes qui gouvernaient les nations, j’eusse été peut-être moins ébloui par une grandeur qui m’aurait paru mêlée de petitesse ; j’aurais vu bien des bassesses autour de la puissance, et de larges taches dans un soleil de gloire.

Mais mon isolement rendait plus séduisants tous les prestiges,