Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/371

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rare de voir les trois sœurs servir de femmes au même homme. La condition des femmes indiennes est la plus misérable qu’on puisse imaginer ; elles n’ont aucune des prérogatives que reconnaissent aux femmes les sociétés civilisées, ni aucun des plaisirs sensuels que leur donnent les mœurs de l’Orient, où elles sont esclaves.

J’ai dit que l’Indien a autant de femmes qu’il en peut trouver ; il serait peut-être plus juste de dire qu’il en trouve autant qu’il en peut nourrir ; car le sort des familles indiennes est si malheureux que les parents donnent sans peine leur fille à qui peut la faire vivre. À cet égard, tout dépend de l’habileté de l’homme à la chasse ; un chasseur fameux a ordinairement un grand nombre de femmes, parce qu’il peut fournir à toutes des moyens d’existence.

Le mariage de l’Indien avec ses femmes se fait sans aucune cérémonie, et quelquefois il se dissout peu de jours après sa formation. Ceci toutefois arrive assez rarement ; l’Indien qui briserait aussi facilement un pareil lien se nuirait dans l’esprit de sa tribu, et ne trouverait plus aucune famille disposée à s’allier à lui.

On conçoit que cette vie de fatigue, de misère et d’opprobre, décourage et dégoûte beaucoup d’Indiennes ; aussi le suicide est-il très-fréquent parmi elles. (V. les relations du major Long, p. 394, t. 11, 2e voyage, et Tanner’s Narrative, New-York, 1830.) L’anecdote que j’ai introduite dans le texte de l’ouvrage m’a paru un des exemples les plus frappants du désespoir où le malheur de ces pauvres créatures peut les plonger, Je fais suivre la catastrophe de cérémonies funéraires qui ne sont point une pure création de mon imagination. Il est certain qu’à la mort d’un ami, l’Indien manifeste un très-grand chagrin ; il noircit son visage, il jeûne, cesse de se peindre la figure avec du vermillon et s’abstient de tout ornement dans sa toilette ; il se fait des incisions dans les bras et dans les jambes et sur tout le corps ; souvent les signes extérieurs de son chagrin durent très long-temps. Le major Long dit avoir rencontré un Indien qui, depuis quinze ans, ne se mettait plus de vermillon au visage, en commémoration de la perte d’un ami précieux, et annonçait l’intention de s’imposer la même privation pendant dix années. L’Indien mesure les témoignages de sa douleur sur le degré d’affection que le défunt lui inspirait. (V. Long’s Expedition to the rocky Mountains, tome 1, p. 281. V. aussi Tanner’s Narrative, P. 288.)